L’Arabie Saoudite et le soft power des stars du foot
S’il y a un bien un pays qui veut changer son image, c’est bien l’Arabie Saoudite.
Si on devait faire un rapide sondage, je suis certain que ce qui arriverait en tête : c’est l’aspect rigoriste de la religion telle que pratiquée dans ce pays, ce serait le rôle minoré pour ne pas dire absent des femmes, ce serait le lien avec le terrorisme islamique via le financement direct ou indirect d’Al Qaida pendant des années, et plus récemment encore l’assassinat du journaliste Jamal Kassogi dans des conditions atroces à Istanbul.
Le prince héritier d’Arabie Saoudite est conscient de cette image, et il n’a de cesse de vouloir l’éliminer en modernisant son pays à marche forcée. Il le fait en copiant ses voisins que sont le Qatar ou les Emirats Arabes Unis (EAU). Le Qatar utilise son soft power via la présence de la chaine de télévision Al Jazira, et les EAU le font via Dubai pour attirer les riches de la planète et les touristes du monde. Ce soft power, ce pouvoir médiatique et symbolique, l’Arabie saoudite essaie de se l’offrir via le transfert de plusieurs stars du foot mondial comme le quadruple ballon d’or Cristiano Ronaldo, ou l’arrivée d’autres stars du ballon rond comme Karim Benzéma et bien d’autres encore. Il suffit de se souvenir des montants évoqués par les médias ces dernières semaines pour comprendre que le Royaume saoudien a décidé de sortir son chéquier. A coups de centaines de millions de dollars, l’Arabie Saoudite propose des salaires indécents et qu’aucun être humain ne peut refuser.
Vu d’ici cette débauche d’argent semble indécente, mais vu du Royaume, c’est juste un calcul économique. Mohame Ben Salman, le prince héritier, a imposé son plan Vision 2030 pour moderniser son pays. Et si offrir un salaire de 100 millions de dollars semble démesuré, les autorités saoudiennes font un autre calcul. Avec la même somme, ils auraient une campagne de pub qui durerait peu de temps, alors qu’en débauchant pour la même somme des stars du foot, ils s’assurent du buzz pendant toute l’année, pour la simple raison que ces stars du foot sont épiées dans leurs moindres faits et gestes sur les réseaux sociaux. Quoi de mieux pour un pays dont les moins de 35 ans représentent 70% de la population ? Et quoi de mieux que de mettre ces stars du foot européen en situation pour montrer qu’aujourd’hui, les cafés et les restaurants sont mixtes en Arabie Saoudite. Que les femmes saoudiennes peuvent encore conduire leur voiture et sortir du pays pour voyager sans demander l’autorisation d’un tuteur masculin ou montrer que les jeunes saoudiennes peuvent enfin s’attabler ensemble et fumer une chicha sans recevoir des coups de bâton de la police religieuse qui faisait le tour de la ville il y a six ans encore.
L’Arabie Saoudite a besoin de paix et d’argent. La paix, elle est en train de la consolider avec Israël, car l’Arabie saoudite veut devenir aussi une destination touristique notamment en mettant en avant ses temples nabatéens et montrer au monde entier qu’il y a aussi une Arabie saoudite préislamique. Comme ces sites archéologiques sont proches de la mer rouge, la paix avec Israël est nécessaire. Quant à l’argent, il vient évidemment de la manne pétrolière. Raison pour laquelle, le prince Ben Salman fait tout pour maintenir le prix du baril au-dessus des 80 dollars même s’il est critiqué par son allié traditionnel que sont les Etats-Unis. D’ailleurs, ce prince héritier n’en a cure de son allié américain, au risque de lui déplaire. Il s’est rapproché de son ennemi héréditaire l’Iran, et il a de très bonnes relations avec la Chine et la Russie. Il a compris que les Etats-Unis ne lui donneront jamais ce qu’il veut : l’arme nucléaire. Il essaie donc de l’avoir via d’autres voies, car il a aussi compris que pour ne pas être renversé, mieux vaut disposer de l’arment nucléaire comme la Corée du Nord. Il y a donc l’usage du soft power via le football, mais les considérations de pouvoir tout court sont encore là. Enfin, tant que l’occident se nourrira encore de pétrole, mais ça c’est une autre histoire.