Amid Faljaoui

La Silicon Valley veut coder les enfants

Il fut un temps où l’on accusait les milliardaires de la tech de vouloir se prendre pour Dieu. Aujourd’hui, certains d’entre eux essaient littéralement de lui voler sa fonction première : donner la vie. Ou, plus précisément, de la programmer.

Dans la Silicon Valley, un marché en pleine ébullition se développe discrètement : celui des bébés à QI élevé. Des tests génétiques ultra-sophistiqués – et hors de prix – promettent aux futurs parents d’identifier l’embryon “optimal”, celui qui aura les meilleures chances d’être intelligent, sain, performant. Mieux encore : des agences de rencontres facturent jusqu’à un demi-million de dollars pour dénicher un partenaire “au bon patrimoine génétiquu”. Le QI devient une devise. L’enfant, un investissement stratégique. L’amour, un facteur parmi d’autres.

On pourrait en rire, si ce n’était pas si sérieux et relayé par les medias américains. Des start-up comme Herasight ou Nucleus Genomics vendent déjà leurs services à une clientèle fortunée, en quête de la prochaine génération de surdoués. Leur promesse : combiner l’IA, la génomique et la fertilité pour donner naissance à une élite cognitive. On trie les embryons comme on triait autrefois les chevaux de course. Et pour certains, ce n’est qu’un début.

Car derrière cette obsession pour l’intelligence se cache une peur bien réelle : celle de l’intelligence artificielle elle-même. Certains chercheurs – notamment à Berkeley – affirment que la meilleure manière de rendre l’IA sûre serait… de produire plus d’êtres humains supérieurs. Leurs mots sont pesés, mais l’idée est claire : seuls des enfants exceptionnels pourront dompter les machines exceptionnelles. Et sauver l’humanité de son propre génie.

Bienvenue dans le transhumanisme parental

Ce phénomène soulève de nombreuses questions éthiques, mais il dit aussi quelque chose de fondamental sur l’idéologie silencieuse de la Silicon Valley. Là-bas, la réussite ne s’hérite pas seulement par l’argent ou l’éducation. Elle s’anticipe dans l’ADN. Le QI est perçu comme une forme de capital naturel. Il faut le cultiver, l’optimiser, le transmettre – comme on transmet une entreprise ou un portefeuille d’actions. L’enfant devient un produit dérivé, un actif à haut rendement. C’est le capitalisme génétique.

Mais que valent vraiment ces tests ? Les scientifiques eux-mêmes appellent à la prudence. La sélection génétique permettrait, au mieux, de grappiller trois ou quatre points de QI. Rien qui garantisse un futur prix Nobel. Et tout cela sans compter les effets secondaires : en choisissant un embryon aux “bonnes caractéristiques”, on augmente aussi le risque de troubles comme l’autisme. Bref, même dans le domaine de la biologie, la performance a un prix. Et des effets secondaires.

Ce n’est pas seulement une dérive technologique. C’est un changement de civilisation.

Il y a vingt ans, on débattait de la place des robots dans les usines. Aujourd’hui, on débat de la place des embryons dans les tableurs Excel. La logique du rendement s’est invitée dans l’intime. Et donc, quand on lit ce genre d’article dans la presse anglo-saxonne, on sent poindre une crainte : celle d’une nouvelle aristocratie biologique, financée par la tech et dopée à l’optimisation génétique.

La vraie fracture du futur ne sera peut-être pas sociale ou territoriale. Elle sera neuronale.

Et comme toujours, l’Europe regarde cela avec un mélange de scepticisme et d’impuissance. Pourtant, les enjeux sont là. Qui aura le droit – ou les moyens – “d’améliorer” ses enfants ? et si c’est le cas, demain, on ne demandera plus : “il ou elle ressemble à qui ?” mais on demandera: “combien de points de QI vous avez choisi ?”. Le monde tourne fou.

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