En tant qu’économiste, je ne suis pas naturellement porté à l’optimisme. Le chaos du monde, souvent masqué par des apparences de stabilité, m’incite à la vigilance. La prochaine crise financière se profile, insidieuse et silencieuse, ce qui la rend d’autant plus redoutable. Lorsqu’elle éclatera, son fracas surprendra ceux qui n’auront pas su entendre ses murmures précurseurs.
Cette crise, je le crains, sera systémique, c’est-à-dire inéluctable et impossible à diversifier.
Deux facteurs principaux la sous-tendent, et leur concomitance rend la situation particulièrement explosive.
Le premier réside dans l’explosion des dettes publiques à travers le monde, un fardeau qui pèse lourdement sur les économies globales. Aux États-Unis, des politiques de stimulation budgétaire massives ont gonflé la dette à des niveaux inédits, tandis qu’en Europe, le financement de l’État-providence creuse les déficits année après année. Au Japon, la dette soutient une économie structurellement dépendante de l’endettement, une situation qui semble sans issue. Quelques pays, comme la Chine, affichent des dettes publiques plus modérées, mais leur monnaie, non librement convertible, limite leur rôle dans le système financier global. Une dette publique élevée n’est pas nécessairement problématique si elle est diluée dans un contexte où toutes les dettes sont comparables, et elle peut même être bénéfique lorsqu’elle finance des investissements productifs tels que les infrastructures, l’éducation, la santé ou la transition écologique.
Cependant, la situation devient préoccupante lorsque la soutenabilité de cette dette repose sur des hypothèses fragiles, comme c’est le cas pour la dette américaine, dont la viabilité dépend entièrement de la capacité des États-Unis à maintenir le dollar comme monnaie de référence mondiale.
Le second facteur, encore plus déterminant, est le risque lié au dollar lui-même, pilier vacillant du système financier international. La dette américaine, qui représente une part colossale des actifs mondiaux, repose sur la confiance des investisseurs dans la capacité des États-Unis à honorer leurs engagements.
Or, cette confiance s’érode progressivement. Dans un monde multipolaire marqué par l’émergence de puissances comme la Chine, l’Inde ou la Russie, et par un isolationnisme croissant de la politique américaine, l’hégémonie du dollar est de plus en plus contestée.
Autrefois perçue comme un actif sans risque, la dette américaine devient une source d’inquiétude, comme en témoigne la récente décision de l’agence de notation Fitch d’abaisser sa perspective sur les dettes souveraines de « neutre » à « détériorée », pointant directement la politique budgétaire américaine comme un facteur de risque majeur.
Mais le dollar lui-même s’engage sur une trajectoire périlleuse. Une politisation croissante de la politique monétaire américaine, où les décisions de la Réserve fédérale pourraient être influencées par des considérations électoralistes plutôt que par des impératifs économiques, menace la stabilité de la devise.
De plus, une dépréciation potentielle du dollar, déclenchée par des chocs monétaires ou une perte de confiance des partenaires commerciaux, pourrait entraîner des réactions en chaîne dévastatrices : dévaluations compétitives des autres monnaies, flambée de l’inflation mondiale et érosion du pouvoir d’achat à l’échelle planétaire.
La combinaison d’une dette américaine excessive et d’un dollar affaibli alimenterait une défiance généralisée envers les États-Unis, provoquant une crise de liquidité et une panique sur les marchés financiers. Ce scénario, loin d’être hypothétique, est déjà esquissé par des signaux concrets, comme la montée des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui explorent activement des alternatives au dollar pour leurs échanges commerciaux.
La concomitance de ces deux facteurs — une dette publique insoutenable et un dollar fragilisé — rend la crise quasi inéluctable. Contrairement aux crises passées, celle-ci sera systémique, touchant l’ensemble du système financier mondial sans possibilité de diversification. S’extraire des actifs libellés en dollar, qui dominent les portefeuilles mondiaux sous forme d’obligations, d’actions ou de réserves de change, est pratiquement impossible à l’échelle globale. Les alternatives, comme l’euro ou le yuan, ne sont pas encore en mesure de remplacer le dollar comme monnaie de référence.
Cette crise, lorsqu’elle surviendra, révélera le prix d’une dépendance excessive au modèle américain. Pendant des décennies, le monde s’est reposé sur la stabilité apparente du dollar et la solidité présumée de la dette américaine.
Aujourd’hui, ces fondations vacillent, et les murmures d’une tempête imminente se font entendre. Ignorer ces signaux, c’est s’exposer à un réveil brutal.