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La Pax Americana devient payante

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Washington a publié un texte officiel d’une trentaine de pages vendredi dernier. Avec un nom un peu sec pour ce document : National Security Strategy, la NSS.

Personne ne lit ça entre deux réunions, mais c’est typiquement le genre de document qui finit par se retrouver… dans nos bilans. La raison ? Parce qu’une doctrine stratégique américaine, ce n’est pas seulement de la géopolitique : c’est une machine à changer le coût de l’argent, le coût de l’énergie, le coût de la défense, et donc le coût de faire du business en Europe.

Le message central est assez simple : l’Amérique ne veut plus être le “service après-vente” du monde. Dans le texte de ce document, les États-Unis disent que l’époque où les États-Unis soutenaient l’ordre mondial, “comme Atlas” dans la mythologie grecque, est terminée. Traduction économique : “le modèle gratuit s’arrête”. On passe d’un système où l’Amérique payait beaucoup pour stabiliser le jeu mondial, à un système où elle veut rentabiliser, sélectionner, et faire contribuer les autres.

Et surtout, ce n’est pas une doctrine du type “on rentre à la maison”. C’est plutôt : “on reste, mais on choisit nos alliés, et on facture”. C’est un changement de business model de la puissance américaine.

Pendant des décennies, l’ordre international ressemblait à un abonnement collectif : les États-Unis garantissaient une grosse partie de la sécurité, et en échange ils obtenaient influence, accès, alliances, commerce. Là, l’ordre devient transactionnel. L’alliance atlantique n’est plus un destin commun, c’est un contrat renégociable. Et dans un contrat, ce qui compte, ce sont les clauses : “combien tu mets sur la table, à quel point tu t’alignes, et ce que tu obtiens en retour”.

C’est là qu’on arrive au cœur économique : la NSS transforme des outils économiques en outils stratégiques. Commerce, technologies sensibles, coopération industrielle, standards, marchés publics… tout ça peut devenir une carotte ou un bâton. Avec d’un côté, des alliés “utiles” qui auront un meilleur accès. Et de l’autre côté, des alliés “problématiques” avec des conditions, restrictions, contrôles et autres délais.  

Et puis il y a l’“exception Europe”. Le texte de la NSS dit : “on n’impose pas nos valeurs aux autres”. Mais quand il parle de l’Europe, il change malgré tout de ton : continent en déclin, étouffé par la régulation, menacé par la migration, la chute de natalité, la “censure” (eh oui, ils osent), la répression de l’opposition. Il va jusqu’à dire que l’Europe pourrait être méconnaissable en vingt ans, et annonce vouloir l’aider à “corriger sa trajectoire”, en saluant la montée des partis “patriotiques”… que nous appelons partis d’extrême droit de ce côté-ci de l’Atlantique.

Économiquement, ça signifie une chose : l’Europe n’est plus seulement un partenaire, elle devient un dossier à “redresser”. Et quand une grande puissance veut redresser un partenaire, elle ne le fait pas uniquement avec des discours : elle le fait avec l’accès au marché, la coopération technologique, les accords industriels… et la pression sur les règles (notamment pour le numérique).

Autre point : l’Ukraine. La NSS insiste sur un cessez-le-feu rapide et une “stabilité stratégique” en Europe. Les États-Unis passent d’une posture moins “bouclier automatique” et plus “gestionnaire de risques”. Et la conséquence budgétaire est simple : si Washington veut clôturer plus vite, la charge de la suite pour l’Ukraine – sécurité, réarmement, financement – retombe davantage sur les Européens.

Conclusion : cette NSS dit aux États : vous allez choisir entre deux choses coûteuses : payer plus pour votre sécurité, ou payer plus cher le prix de votre indépendance. En clair, la Pax Americana ne disparaît pas, elle devient payante !

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