Eddy Caekelberghs

La ixième guerre mondiale

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

L’attention générale s’est déportée de l’Ukraine à Gaza. Ce qui profite largement à la Russie, d’autant qu’elle cherche à être reconnue comme une faiseuse de paix au Proche-Orient. Mais au-delà de la sauvagerie et de la barbarie sur le terrain, il faut – froidement – analyser les conséquences mondiales de ce nouveau foyer.

De même que l’historien français Olivier Wiewiorka nous propose une fascinante Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale (éd. Perrin) dans laquelle il retrace les faits depuis chaque terrain du monde, même le plus oublié, générant ainsi (tant au niveau stratégique et idéologique que social et économique) une vraie prise de conscience du caractère mondial du conflit des années 1930 et 1940, de même il nous faut sortir de notre tropisme européen pour saisir l’ampleur de ce qui se passe dans la zone proche-orientale.

Comme dans le cas ukrainien, le conflit Israël-Hamas illustre notre dépendance pétrolière et gazière, faisant craindre, comme en 1973, un embargo sur le pétrole.

Le président américain Joe Biden, parlant à son homologue chilien Gabriel Boric, a souligné la gravité historique du moment: “Ce qui se passe au Proche-Orient va dessiner le monde pour les huit prochaines décennies”. De fait, l’onde de choc affecte le monde entier. Jusqu’à diviser l’Asie! La Chine se rapproche de l’Egypte et se veut facilitatrice de paix. Rappelons que Pékin (comme Moscou) est l’un des soutiens majeurs de l’Iran. La Chine absorbe la production pétrolière iranienne frappée de sanctions internationales. Ce que Pékin voudra (sans avoir l’air d’être partie prenante), Téhéran devra s’y plier. On le pense.

L’Asean, qui regroupe 10 pays (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam), expose des fractures internes sur le conflit Israël-Hamas. Or, l’Asean a toujours eu une position soutenant une solution à deux Etats. Pourtant, il aura fallu attendre 13 jours après les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre dernier pour que l’organisation publie un communiqué. Les apparences sont sauves: les Etats membres défendent une position commune à deux Etats… Mais le sultanat de Brunei, l’Indonésie et la Malaisie, pays à majorité musulmane, soutiennent ouvertement le peuple palestinien. D’autres prennent une posture neutre, comme le Cambodge, le Laos, le Vietnam ou la Thaïlande. Enfin, Singapour et les Philippines, plus proches des Etats-Unis et ayant des liens importants avec Israël, condamnent l’attaque du Hamas et rappellent le droit légitime d’Israël à défendre son territoire.

Mais 14% de la population de Singapour est aussi d’origine malaisienne, et donc principalement musulmane. Dès lors, comme l’explique le communiqué de police, “la paix et l’harmonie entre les différentes races et religions à Singapour ne doivent pas être considérées comme acquises, et nous ne devons pas laisser les événements extérieurs affecter la situation interne de Singapour”. Rappelons enfin que l’Asie du Sud-Est fait toujours face à des menaces de terrorisme, à des rébellions internes ou à des différends territoriaux entre Etats.

Enfin, comme dans le cas ukrainien, ce conflit illustre notre dépendance pétrolière et gazière, faisant craindre, comme en octobre 1973, un embargo sur le pétrole contre l’Occident et les Etats-Unis. Surtout que depuis les sanctions contre la Russie, le marché du pétrole et du gaz est déjà tendu. Ceci est donc bien d’ores et déjà un ixième conflit mondial qui ne dit pas son nom. Je conclurai comme le magazine Polytika à Varsovie: “Personne ne veut la guerre, les belligérants fourbissent leurs armes, le monde regarde sans savoir quoi faire et les terroristes préparent leurs détonateurs”.

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