Paul Vacca
Kikk Festival 2023 : Quand l’eau devient la métaphore parfaite de la modernité liquide
Décloisonnant et mélangeant avec bonheur le numérique, l’art, les sciences, la technologie ou la culture, le Kikk propose un jaillissement de projets inédits et passionnants.
Le sociologue polonais Zygmunt Bauman a montré dans son essai La vie liquide (Pluriel, 2005) en quoi notre modernité se caractérisait désormais par son essence « liquide ». Selon lui, nous sommes progressivement entrés dans une « société liquide » du fait de la lente dilution des « grandes narrations », ces repères fiables qui dans le passé charpentaient nos imaginaires – tels que l’Etat, le parti, la religion… – nous procurant la confortable sensation d’un ordre stable. Si cette liquéfaction de nos existences s’accompagne d’une certaine angoisse consécutive à toute perte de repères, dans le même temps, elle nous ouvre un espace de liberté nous affranchissant des illusions d’un monde solide.
Pour autant, il semble que nous soyons encore en grande partie tributaires d’une vision héritée du monde solide d’avant ? C’est flagrant dans le domaine des nouvelles technologies pourtant censées incarner la modernité. On subit encore le poids du mythe de l’homme providentiel, cette antique figure du génie venue des temps anciens réactivée avec Elon Musk ou Mark Zuckerberg ; on étale encore des imaginaires de rupture technologique et des lignes de fractures archaïques entre le numérique et le physique, le virtuel et le réel, l’IA et l’humain… ; on agite les vieilles lunes apocalyptiques (pour les anti-tech) ou messianiques (pour les pro-tech) avec les vieux cauchemars ou rêves horizons peuplés de robots ou d’humains désincarnés…
Fait intéressant, cette année le Kikk Festival (dont la 12e édition s’est déroulée à Namur du 26 au 29 octobre) a justement élu pour thématique l’élément liquide par excellence : l’eau. De nombreux acteurs culturels provenant d’horizons différents ont été invités à s’exprimer à travers des installations, des performances, des laboratoires ou des conférences autour du concept de Bodies of water. Comme l’a précisé Marie du Chastel, directrice artistique du Festival, la thématique de l’eau est l’une des plus prégnantes de notre société au confluent des questions économiques, environnementales ou géopolitiques.
L’eau, parfaite matrice métaphorique.
Ainsi 40 œuvres, 38 conférences et 35 prototypes ont permis à près de 30.000 participants de découvrir sous de nouvelles perspectives les innombrables liens qui unissent l’eau et la vie. Un cycle vital pour l’humanité qui est aussi sujet à tous les dérèglements humains ou météorologiques (comme nous le montrent hélas les inondations ces jours-ci).
Or l’eau, nous semble-t-il, pourrait également constituer la parfaite matrice métaphorique pour le Kikk. Car avec le Pavillon, l’espace d’exploration des cultures numériques, avec le Trakk, le hub créatif et le fablab, mais aussi avec le studio de création Dogstudio ou la revue comme King Kong, la galaxie Kikk montre comment un écosystème entrepreneurial culturel et créatif peut épouser avec succès la modernité liquide.
Prenant naissance à Namur entre la Sambre et la Meuse, irrigué par un collectif de personnalités issues de divers horizons, plongeant dans le grand bain de l’international et des cultures du monde, décloisonnant et mélangeant avec bonheur le numérique, l’art, les sciences, la technologie ou la culture, abreuvant les usages numériques les plus innovants avec des expériences physiques événementielles, perméable à toutes les générations, le Kikk propose un jaillissement de projets inédits et passionnants. Avec toutes leurs activités infusées par la culture fluide de l’échange, la technologie et la culture deviennent des sources de créativité et de liberté se jouant des digues mentales du vieux monde solide.
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