Bruno Colmant

Intelligence artificielle: préparez-vous à perdre votre emploi dans deux ans

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Ou à le réinventer. Mais alors, faites extrêmement vite.

Dans un premier temps, ChatGPT, dont la prochaine version est annoncée, fut observé avec curiosité, amusement, intérêt et parfois stupéfaction. Aujourd’hui, c’est autre chose : les puissances de calcul sont sidérantes, et la percée quantique sera le début d’une révolution existentielle.

Ce qui se passe, c’est que tous les métiers d’expertise, même physique, d’intuition, d’érudition, d’enseignement sont remplacés par l’Intelligence artificielle. Je n’écris pas « vont être remplacés », mais « sont remplacés ».

Il se trouve que j’ai fait l’essentiel de ma carrière dans les domaines fiscaux, comptables, bancaires, d’assurance et boursier. Aujourd’hui, aucun de ces derniers ne résiste.

Prenez les comptes annuels d’une société, placez-les dans une Intelligence artificielle de qualité, et vous obtiendrez tous les points d’attention qui souvent sont obscurs ou volontairement dilués. Posez ensuite la question de savoir quelles sont les forces et les faiblesses de la stratégie de l’entreprise en les comparant à des entreprises existantes, et vous aurez le travail d’un consultant qui se limite souvent à faire du « benchmarking », c’est-à-dire de jauger l’entreprise à l’aune de ses pairs. Demandez-lui quels sont ses rivaux futurs, c’est-à-dire des entreprises qui pourraient un jour la concurrencer, et vous aurez la cartographie de la nécessité de ses déplacements stratégiques.

En passant, posez-lui la question de sa valorisation théorique, selon des normes et de multiples techniques, et vous serez surpris de constater que, faute d’une valorisation boursière, l’entreprise vaut beaucoup moins qu’elle ne le croit. Est-ce une surprise ? Aucunement : les marchés sont considérés comme efficients, ou devrais-je plutôt écrire omniscients, c’est-à-dire qu’ils intègrent, par le négoce des titres, toute l’information disponible. Avec l’Intelligence artificielle, les marchés deviennent hyperefficients, ce qui veut dire que les asymétries d’informations vont disparaître et que la véritable valeur des entreprises va émerger sans le flou du filtre humain, dont on sait qu’il ne profite qu’à l’artiste.

Je passe évidemment sur les professions juridiques et fiscales, ainsi que sur les autres professions du chiffre, qui, une fois que tous les textes de lois, règlements et autres législations internationales sont intégrés (et ils le sont déjà), vont se voir dépassées par la solution rédigée d’une machine. Et cette vague ne se contentera pas d’engloutir les cols blancs : elle touche déjà, ou s’apprête à le faire, des métiers considérés comme inaccessibles à l’automatisation, des artisans aux créatifs. Nul n’est véritablement à l’abri de cette transformation radicale, même les plus intuitifs ou les plus manuels. La même situation va évidemment s’imposer pour des économistes (comme moi), des analystes financiers, des banquiers, des actuaires, etc., et encore je me limite aux professions que j’ai côtoyées.

Bref, tout sera, et très vite, bouleversé par les mains hasardeuses du temps et la machine.

Donc, a priori, ce ne sera pas le grand soir marxiste, mais le crépuscule de l’emploi.

Alors, que faire ?

S’exercer à l’intelligence, à la culture générale, à l’amélioration de ses prédispositions qui permettent de compléter la machine. Et il faut se former, car même si une machine sait tout, l’à-propos, la confiance, la qualité d’une relation professionnelle restera toujours.

Nous sommes donc des chômeurs en puissance, avec son cortège de misère, sauf si, dans une absolue exigence de lucidité, nous faisons le bilan de nos vies et identifions, avec vérité, quels sont nos dons dans l’échange et l’apport à la communauté.

Et grâce à l’Intelligence artificielle, nombreux sont ceux qui se trouveront de merveilleux dons. Elle représente, paradoxalement, une chance inouïe de repenser nos vies professionnelles, et peut-être même nos vies tout court, en nous forçant à revenir à l’essentiel de notre humanité.

Bruno Colmant

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