Paul Vacca
Ingénieur de requête, le nouveau métier que l’on doit aux IA génératives
Socrate, maître de l’intelligence artificielle ? Les compétences clefs pour un ingénieur de requête relèvent ce que l’on appelle en philosophie la “maïeutique”, autrement dit l’art de faire accoucher une idée par le dialogue.
Goldman Sachs a publié fin mars une étude estimant à 300 millions les pertes d’emplois dans le monde imputables au développement de l’intelligence artificielle (IA) générative (type ChatGPT ou Midjourney). Certains ont vu dans cette prévision apocalyptique l’expression d’un alarmisme technologique. Il semble qu’il faille plutôt y voir au contraire une énième poussée d’optimisme technologique. Car croire que les machines seraient capables de remplacer les compétences humaines dans de telles proportions (on parle quand même d’un quart de la force de travail aux Etats-Unis et en Europe! ), c’est assurément avoir la foi chevillée au corps quant aux capacités transformatives de l’IA.
Un robot a encore besoin, jusqu’à nouvel ordre, d’un humain doté d’humanités pour être intelligent.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, agiter l’idée de risques et de dangerosité de l’IA pour le libre arbitre, les emplois ou la démocratie, c’est la façon la plus convaincante d’en accréditer l’efficacité. C’est ce que faisait déjà avec maestria Elon Musk en 2017 en dressant face aux sénateurs américains un tableau cataclysmique de l’IA. Rien d’étonnant dès lors que tous ceux qui tirent un bénéfice de l’IA soient précisément les premiers à en “homériser” les effets ravageurs, jusqu’à faire semblant parfois de réclamer des hypothétiques encadrements ou des moratoires. L’IA est finalement promue comme une arme dont l’efficacité est jugée à l’aune des dégâts qu’elle peut produire.
Mais pour l’heure, n’en déplaise aux alarmistes, cette course à l’armement se traduit plutôt par des créations d’emplois. Ne jamais oublier que derrière ces vastes machineries technologiques vendues comme automatisées et autonomes, il y a toujours une quantité d’interventions humaines, même si une bonne partie d’entre elles est invisibilisée (ce sont les “ouvriers du clic” dont parle le chercheur Antonio Casili dans son essai En attendant les robots).
Il y a déjà tous les emplois qui visent à nourrir et entraîner les IA génératives dans leur apprentissage profond (“deep learning”). Il y a aussi tous ceux qui encadrent les débordements de l’IA en produisant des “patchs” correctifs, des surcouches de contrôle pour lisser les réponses absurdes ou scandaleuses. On se souvient de l’expérience désastreuse du lancement du chatbot Tay par Microsoft en 2016, laissée en roue libre aux mains des internautes et qui l’avaient fait déraper en à peine huit heures, produisant des réponses xénophobes et incohérentes.
Un nouveau métier
Et aujourd’hui, un nouveau métier est en train d’émerger à la faveur de la montée en puissance des IA génératives: celui de “ prompt engineer” ou ingénieur de requête. Il s’agit de la personne chargée de formuler les requêtes (les “prompts” en anglais) pour faire parler les IA. Toutes les entreprises qui souhaitent profiter de l’IA se l’arrachent au point que la Harvard Business Review lui a décerné le titre de “métier le plus sexy du 21e siècle”, détrônant celui de “data scientist”.
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Or, malgré ce que son appellation laisse croire, ce métier n’exige pas de diplôme d’ingénieur, ni de savoir coder. Les compétences clefs pour un ingénieur de requête relèvent plutôt des humanités (lettres, philosophie ou sciences humaines): savoir définir et formuler clairement ses requêtes, pouvoir fournir des éléments de contexte et être à même de juger de la qualité des réponses produites par l’IA pour pouvoir reformuler et affiner sa requête. Bref, ce que l’on appelle en philosophie depuis Platon et Socrate, la “maïeutique”, autrement dit l’art de faire accoucher une idée par le dialogue. Socrate aurait fait un bon “prompt engineer”. La preuve que l’intelligence n’est pas si artificielle que cela et qu’un robot a encore besoin, jusqu’à nouvel ordre, d’un humain doté d’humanités pour être intelligent.
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