Une chronique d’Amid Faljaoui.
Dimanche dernier, un ami – directeur d’un centre d’études à Bruxelles – m’envoie un message sur WhatsApp. “Amid, tu as vu cet article du Point ? L’homme qui avait prévu la crise de 2008 prédit maintenant l’effondrement de l’intelligence artificielle !”.J’ai cliqué, évidemment. Et je l’ai lu d’une traite.
L’homme en question, c’est Michael Burry, ce financier atypique incarné par Christian Bale dans le film The Big Short. En 2008, il avait flairé avant tout le monde la crise des subprimes. Et voilà qu’il refait surface dix-sept ans plus tard, persuadé qu’une nouvelle bulle est en train de gonfler : celle de l’intelligence artificielle.
Pari d’un milliard de dollars
Selon Le Point, Michael Burry a parié plus d’un milliard de dollars sur une baisse du cours de géants comme Nvidia et Palantir. Mais attention : cela ne veut pas dire qu’il a sorti un milliard de sa poche. Burry a utilisé un instrument financier appelé option de vente, ou “put”. C’est une sorte d’assurance contre la baisse : s’il a raison et que les actions chutent, il gagne de l’argent.
S’il a tort et que les cours montent, il perd uniquement la prime qu’il a payée. Autrement dit, il fait un gros pari mais il n’a pas décidé de se suicider non plus.
Son message, en revanche, est limpide : pour lui, la fièvre autour de l’intelligence artificielle ressemble dangereusement aux emballements passés. Des valorisations trop hautes, trop rapides, et parfois sans lien avec les bénéfices réels.
Les nuances de Bezos
Mais voilà qu’un dirigeant de la tech vient apporter un peu de nuance à cette vision. Quelques semaines avant la publication de l’article du Point, Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, participait à l’Italian Tech Week à Turin, invité par John Elkann. Et il a dit une chose très simple, mais essentielle : “C’est une sorte de bulle industrielle, pas une bulle financière. Et ce genre de bulle, quand elle éclate, laisse derrière elle des infrastructures et des innovations qui profitent à la société.” Selon Bezos, il faut distinguer les bulles qui détruisent – comme celle des subprimes – de celles qui accélèrent le progrès. Oui, beaucoup d’argent part aujourd’hui dans des projets douteux.
Mais, ajoute-t-il, ce désordre financier finance aussi de vraies innovations : les puces, les logiciels, les data centers qui forment les fondations du monde numérique de demain. Bref, c’est exactement ce qui s’était passé au début des années 2000 :
La bulle Internet avait fait beaucoup de victimes, mais elle avait permis l’émergence de Google, Amazon, PayPal et du commerce en ligne.
Deux lectures d’une même réalité
Au fond, Michael Burry et Jeff Bezos ne se contredisent pas vraiment. Ils regardent simplement le même phénomène à deux échelles de temps différentes. Burry observe le court terme : la spéculation, les excès, la psychologie de marché. Et Bezos regarde le long terme : la dynamique industrielle, les innovations qui resteront une fois la poussière retombée. L’un sonne l’alarme, l’autre relativise. Et les deux ont raison à leur manière.
Oui, il y aura des pertes, des illusions et des entreprises qui disparaîtront. Mais contrairement à 2008, cette bulle ne menace pas le système : elle le transforme.
Et C’est là toute la différence entre une bulle financière et une bulle industrielle. Les bulles financières, comme celle des subprimes, laissent des ruines : chômage, faillites, effondrement de la confiance. Les bulles industrielles, elles, laissent des routes, des câbles, des serveurs, des innovations. Exactement comme me le rappelait un ami, la bulle immobilière espagnole a éclaté en 2009, mais entretemps, l’Espagne avait été transformée (réseau routier, chemin de fer, télécoms, aéroports, hotels, réseau bancaire,etc). Au final, Michael Burry voit dans l’IA un emballement boursier dangereux. Jeff Bezos y voit une effervescence créatrice. Et si les deux disent vrai, alors la question n’est plus de savoir si la bulle va éclater, mais ce qu’elle laissera derrière elle.