Amid Faljaoui

Horeca et TVA : petite hausse, gros dégâts ?

Une chronique d’Amid Faljaoui.

Dans le cadre de l’accord budgétaire fédéral, la TVA sur les plats à emporter et livrés passera de 6 % à 12 %. Sur le papier, ça ressemble à une petite ligne technique pour boucler le budget 2026. Mais dans l’horeca, ce n’est pas une virgule : c’est un choc. Et pour tous les restaurants où la livraison n’est plus un simple service annexe mais vraiment le cœur du modèle économique, c’est un problème qui va bien au-delà d’un changement de taux.

Depuis quelques années, beaucoup d’établissements vivent littéralement du flux continu de commandes sur Uber Eats, Deliveroo ou leurs propres comptoirs. Pour certains, c’est 30 % du chiffre. Pour d’autres, 50 %. Et parfois même 80 %. Leur rentabilité tient à une seule chose, très simple : combien de personnes appuient sur “commander” au fil de la journée.

C’est pour ça que cette hausse de TVA n’a rien d’anodin. Quand la TVA grimpe, les prix montent. Et quand les prix montent, une partie des clients lève le pied. On cuisine un peu plus, on hésite un peu plus, on reporte une commande. C’est très basique : quand le prix monte, le volume descend. Et dans ce secteur, le volume, c’est ce qui permet au modèle de respirer.

D’ailleurs, les plateformes ne gagnent pas leur vie parce qu’elles prennent un gros pourcentage. Elles la gagnent parce que ce pourcentage s’applique à des milliers de transactions par jour. Une commission de 30 % sur une commande qui n’existe pas, ça reste zéro. Donc, non : une hausse de prix ne leur garantit pas un gain automatique. Si le client hésite davantage, tout peut trembler.

Le paradoxe est là : tout le monde regarde la hausse du prix… alors que tout se joue dans la baisse du nombre de commandes. Et cette baisse, si elle s’installe, ne fragilisera pas seulement les restaurateurs. Elle fragilisera aussi les plateformes, dont le modèle n’a jamais été construit sur les marges, mais sur la répétition non-stop des commandes.

En réalité, cette hausse de TVA agit comme un révélateur. Elle montre clairement quels restaurants ont un modèle qui tient debout et lesquels vivaient déjà sur un fil, entièrement dépendants d’un flux qu’ils ne contrôlent pas. Et elle rappelle au passage que même les plateformes, que l’on imagine souvent intouchables, restent vulnérables dès que le volume ralentit.

Au fond, quand on regarde tout ça avec un peu de recul, il y a une évidence qui ressort : dans cette histoire, le seul acteur qui semble vraiment protégé, au moins à court terme, c’est l’État. Ses recettes augmentent mécaniquement, tant que la chute des commandes n’est pas assez massive pour faire fondre la base taxable. C’est le seul qui encaisse sans dépendre du volume, alors que tout le reste de l’écosystème vit précisément de ce volume-là. Et ce mécanisme fait un peu penser à un vieux mythe que beaucoup connaissent sans forcément en avoir toute l’image. Dans la mythologie romaine, Saturne – l’équivalent de Cronos chez les Grecs – dévorait ses propres enfants dès leur naissance, de peur qu’ils ne finissent par le détrôner. L’image est rude, mais elle parle d’elle-même : c’est le symbole d’un pouvoir qui se protège en prélevant toujours plus sur ce qui l’entoure, même lorsque ceux qui le nourrissent ont déjà du mal à survivre. On n’en est évidemment pas à ce niveau-là, mais la métaphore aide à comprendre le sentiment qui flotte autour de cette hausse de TVA : celui d’un État qui sécurise ses recettes pendant qu’un écosystème entier doit absorber le choc et retrouver un peu d’oxygène.

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