Laurent Alexandre et Alexandre Tsicopoulos

Guerre des talents: quand l’IA et la finance se disputent les mêmes cerveaux

Wall Street et les laboratoires d’IA se livrent désormais à la même bataille : capter les profils capables d’optimiser sous incertitude, d’exploiter des masses de données et de transformer un avantage algorithmique en rente économique.

Les labs d’IA draguent les financiers “quants” à prix d’or. Les banques répliquent en surenchérissant. Mais le monde de la finance peine à suivre : Mark Zuckerberg a proposé à trois petits génies informatiques un chèque de plus de 1 milliard de dollars chacun pour rejoindre Meta. Derrière la folie salariale se joue un réalignement profond du marché des compétences.

Financiers et chercheurs en IA partagent un même alphabet : probabilités, optimisation, statistique bayésienne, calcul distribué et ingénierie des données. Ils travaillent sur des phénomènes où une poignée de stratégies capte l’essentiel de la valeur. La finance appelle cela l’alpha, tandis que l’IA parle de SOTA (The State Of The Art, ndlr). Dans les deux cas, le succès exige d’ingérer des flux de données, d’en extraire des signaux faibles et de déployer des systèmes qui apprennent tout en restant gouvernables.

Les ponts techniques sont nombreux. L’apprentissage par renforcement de l’IA résonne avec la gestion de portefeuille dynamique : un desk qui rééquilibre ses expositions intraday n’est pas si loin d’une boucle RL qui maximise une récompense sous contrainte. Le calcul à grande échelle achève de rapprocher les deux mondes avec le parallélisme massif, l’optimisation mémoire et l’arbitrage latence-coût pour l’entraînement des LLM comme pour le backtest de stratégies haute fréquence.

Un jeune docteur en statistiques computationnelles vaut de l’or

Cette convergence raréfie les compétences partout et déclenche une inflation salariale synchronisée. Un jeune docteur en statistiques computationnelles vaut de l’or, qu’il réécrive un optimiseur Adam ou bâtisse un pipeline de données financières tolérant aux pannes. La mobilité devient forte entre Manhattan et la Bay Area.

Pour l’Europe et la Belgique, le risque est double : un départ des meilleurs profils et une hausse des coûts de recrutement.

Pour l’Europe et la Belgique en particulier, le risque est double : un départ des meilleurs profils et une hausse des coûts de recrutement. Par ailleurs, les banques, les assureurs et les asset managers ne peuvent plus se contenter d’acheter des modèles sur étagère. S’ils ne deviennent pas coproducteurs d’algorithmes d’IA, ils paieront indéfiniment une rente à ceux qui les construisent.

Il faut des programmes de mobilité qui permettent à un talent d’alterner une année en R&D IA et une année sur un desk financier, sans perdre en rémunération ni en trajectoire de carrière. Il faut également une infrastructure commune avec un accès souverain à des pools de puces GPU et à des données de qualité afin que les PME financières et les jeunes pousses ne soient pas condamnées à regarder les géants jouer entre eux.

Architecte de l’incertitude

Ce qui nous menace, c’est de laisser les talents s’épanouir seulement là où l’alpha est déjà concentré. La Belgique dispose d’universités brillantes, d’assureurs riches en données et d’une scène fintech dynamique. Il faut convertir ces atouts en écosystèmes mixtes où l’on passe sans friction d’un backtest à un fine tuning et d’une métrique de PNL à une métrique d’alignement. Le titre le plus recherché demain ne sera ni “quant” ni “AI scientist“, mais architecte de l’incertitude capable de concevoir, déployer et gouverner des systèmes décisionnels à grande échelle, qui apprennent sous contrainte réglementaire et délivrent un alpha mesurable. Lorsque ces profils deviendront la norme, finance et IA cesseront d’être deux mondes séparés. À nous de faire en sorte que ce basculement profite à l’Europe.

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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