Bruno Colmant

Feuille d’impôt 2026: la facture cachée des promesses électorales

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Si certains ont cru à une baisse des impôts lors des élections de 2024, ils comprendront bientôt que les choses sont beaucoup plus compliquées.

En effet, compte tenu des réalités du déficit budgétaire et de l’endettement public, les impôts devront augmenter partout, et surtout de manière insidieuse, sans quoi c’est le modèle social belge qui va vaciller. Apparemment, rien ne se passe, mais ce sera au travers de la feuille d’impôt remplie au début du printemps 2026, mais enrôlée en 2026 et 2027, que les particuliers verront l’effet délétère de mesures qui, à première vue, semblent anodines, mais vont avoir un effet catastrophique. Et même s’il est correct que le minimum non imposable augmente et que cela induit une incontestable baisse d’impôts, son effet ne permettra jamais de réduire l’impôt de 500 € nets par mois.

En revanche, il y a toutes les mesures insidieuses, comme la réduction de la déduction des rentes alimentaires, même pour les situations en cours, et qui vont entraîner des drames dans ces séparations difficiles et/ou au sein de familles précarisées. On aurait pu imaginer de modifier la fiscalité pour les nouvelles rentes alimentaires, mais non : on punit les situations existantes. Et l’effet n’est pas anodin : pour une rente alimentaire moyenne, l’impôt va augmenter de 600 € par an et par enfant pour son débiteur. Et il en va de même pour les déductions d’emprunts hypothécaires : vous n’en verrez l’effet qu’en 2027 ou 2028. Et puis d’autres déductions disparaissent ou sont réduites :  les dons, les primes d’assurance en défense en justice, etc.

Les indépendants, souvent en société pour des raisons légales, vont subir une cascade d’impôts et de restrictions, malgré des promesses. Les effets de manche ne pourront pas travestir la réalité. Le combat qui est actuellement mené contre les sociétés de management par le ministre du Budget en est l’illustration, alors que ces dernières sont souvent établies pour des motifs totalement étranges à la fiscalité.

Dès 2026, il y aura aussi la taxation des plus-values financières à 10 %, un cauchemar administratif et improductif, qui conduira, par un jeu de prélèvement subtil, à ce que les plus-values soient directement taxées dès 2026, mais que les moins-values ne soient déductibles qu’au travers de la déclaration fiscale des revenus de l’année 2026, remplie en 2027 et enrôlée en 2028, car il y aura un gigantesque travail de vérification administrative. Une moins-value réalisée en janvier 2026 ne sera donc déductible qu’en 2028, de même que l’exonération d’une première tranche de 10 000 € de plus-values (ce qui correspond à un abattement fiscal de 10 % de 10 000 €), soit 1000 €. Et les particuliers renonceront à demander la déduction de leurs moins-values, car ils devront dévoiler leurs avoirs, et le fisc pourra alors juger si, oui ou non, les opérations boursières sont fréquentes, ce qui pourrait faire monter la taxation de 10 % à 33 %.

Mais ce n’est pas tout : il est légitime et indispensable de remettre au travail les chômeurs de longue durée et surtout les personnes en arrêt maladie pour restaurer les bases de la sécurité sociale. Mais l’expulsion brutale, et sans accompagnement, du chômage de plus de 200 000 femmes et hommes, avec son cortège de misères aggravées (car ce sont souvent des personnes en décrochage complet que les entreprises n’auront peut-être pas envie d’embaucher dans un contexte de numérisation et d’intelligence artificielle), va immanquablement peser sur les dépenses communales, bien au-delà de l’aide qui leur est prévue. Donc des communes vont augmenter le précompte immobilier et les additionnels communaux, et certaines l’ont déjà fait. Quand le verrez-vous dans vos déclarations fiscales ? En 2027 ou 2028.

Alors que ressentir de tout cela ? Un malaise. On sait que les promesses n’engagent que ceux qui y croient, mais le vote populaire est un acte de foi démocratique qui devrait s’effectuer en confiance, sans imaginer que l’adhésion à un programme puisse être trahie. Et, moi qui enseigne la fiscalité depuis près de 35 ans, je rappelle à tous mes étudiants que c’est un contrat de confiance qu’une nation signe avec elle-même. Et, au travers du vote citoyen, ce lien devrait être inviolable.

Et le plus incroyable est que toute personne informée savait qu’il était impossible d’accorder cette hypothétique baisse d’impôts de 500 € net par mois eu égard à l’augmentation des coûts du vieillissement, dont une partie croissante est justement financée par l’impôt. Au reste, le Bureau du Plan, qui chiffre les programmes électoraux, avait précisément évalué l’effet budgétaire des promesses de baisses d’impôts généralisées qui s’avérera évidemment intenable.

Ma conviction est qu’un pays doit se gérer dans le réalisme. Si les finances publiques dérapent, alors il faut mettre en œuvre une véritable réforme fiscale et sociale. Celle-ci passe par une globalisation des revenus imposables et une modulation de l’aide sociale en fonction de ces revenus globalisés. Certains n’ont pas besoin d’aide sociale tandis que d’autres, en pauvreté ou en précarité, doivent en recevoir plus, dans un contexte de solidarité sociétale. Cela serait un véritable projet gouvernemental et de société.

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