La chronique boursière d’Amid Faljaoui, directeur de Trends-Tendances.
Chez Ferrari, ils ont beau construire les voitures les plus rapides du monde, la direction de l’entreprise, elle, refuse d’accélérer. Et c’est précisément ce qui la distingue dans un capitalisme obsédé par la croissance. Et c’est la raison pour laquelle je vous en parle car c’est plutôt rare dans le monde du business de voir une entreprise tenir tête à la Bourse.
Il y a quelques jours, le patron de Ferrari, Benedetto Vigna a dû rappeler plusieurs fois aux investisseurs un principe latin vieux de deux mille ans : Festina lente, autrement dit, “Hâte-toi lentement”. Car les marches financiers, eux, rêvaient d’un moteur qui crache du 15 % de croissance.
Le problème, c’est que ces investisseurs ont découvert une entreprise qui annonce “seulement” 5 % de hausse annuelle du chiffre d’affaires d’ici 2030 mais avec une marge opérationnelle stable autour de 30 %.
Résultat : sanction immediate en Bourse. Le titre Ferrari avait chuté de 15 %, sa plus forte baisse depuis son introduction en Bourse en 2016. Mais faut-il vraiment y voir un signe de faiblesse ?
Pas sûr du tout, sinon je ne vous en parlerai pas. Pourquoi ? Mais parce que cette prudence de Ferrari n’a rien d’un ralentissement : c’est justement la clé du modèle Ferrari. L’entreprise a bâti sa puissance sur une règle immuable de son fondateur Enzo Ferrari : produire toujours une voiture de moins que la demande. Et ce choix, à contre-courant de toute logique industrielle qui garantit une chose rare : la rareté elle-même !
Et c’est précisément cette rareté qui fait de Ferrari la seule marque automobile à être valorisée comme un acteur du luxe, au même titre qu’un Hermès ou un Chanel.
À titre de comparaison, Porsche, souvent présentée comme sa rivale, affiche une marge de 5,5 % cette année. Ferrari, elle, tourne autour de 30 %. Dans l’industrie automobile, c’est presque une anomalie économique ou plutôt une leçon de discipline.
Ferrari aurait pourtant les moyens de doubler sa production sans aucun souci : d’ailleurs, le carnet de commandes est plein jusqu’en 2027. Mais voilà, le patron de Ferrari ne veut pas augmenter la production de voitures. Produire plus, ce serait banaliser la marque, fragiliser la valeur de revente sur le marché de l’occasion et ce serait diluer l’aura de légende.
Et c’est exactement le même raisonnement qui guide sa transition électrique. Là encore, initialement, Ferrari visait 40 % de modèles 100 % électriques d’ici 2030.
Et puis le patron de Ferrari a revu cet objectif revu à la baisse : ce sera finalement 20 %. C’est une manière d’assurer la continuité émotionnelle de la marque, tout en ménageant ses fans du V12 et du V8, pour qui le bruit du moteur est une religion.
Les marches financiers y ont vu de la frilosité. Mais c’est sans doute le contraire. Ferrari leur a montré qu’elle ne court pas après le court terme. Elle cultive le long terme, la cohérence et le désir. En clair, trois vertus que la Bourse a souvent tendance à oublier. Benedetto Vigna le résume avec une simplicité presque provocante : “Nous ne pilotons pas une entreprise comme un 100 mètres, mais comme un marathon.”
Et dans un monde où tout le monde veut aller vite, Ferrari rappelle une vérité économique fondamentale : la vitesse ne se mesure pas en kilomètres par heure, mais en décennies de désir, et ça, c’est une vraie leçon de marketing durable. Et ça rejoint une phrase que je garde comme fétiche de l’auteur américain Ryan Holliday qui écrivait que “pour accélérer, il faut ralentir”.