Je pose une question qui, en ce jour de fête nationale, interpellera certains. C’est la suivante : est-ce que la fiscalité suit le processus constitutionnel que les rédacteurs des multiples versions de notre Loi fondamentale ont rédigé?
La fiscalité, c’est un engagement moral qu’une nation signe avec elle-même. La fiscalité contemporaine est commutative, c’est-à-dire qu’elle se situe entre les devoirs et les droits qu’un contribuable a par rapport à l’État. C’est pour cela que c’est un engagement sociétal aux multiples interactions.
Mais cela va évidemment beaucoup plus loin, puisque la fiscalité est ce que je qualifierais un « fait social total » : c’est l’expression dans l’espace et le temps des comportements des citoyens. C’est aussi un engagement intra (c’est-à-dire entre nous tous maintenant) et intergénérationnel (c’est-à-dire entre nous et ceux qui nous ont précédés, dans la vie active ou patrimoniale précédente, par exemple, et ceux qui vont nous suivre).
Il est donc normal que ce soit le Parlement qui débatte et approuve les lois fiscales, dont les modalités ressortissent d’ailleurs à des exigences constitutionnelles très strictes. Car, ne l’oublions pas, ce sont bien les parlementaires que nous élisons, pas les ministres ou les présidents de parti, qui ne sont eux, que nommés par leurs adhérents.
Et qu’est devenue la fiscalité ? Un magma incontrôlable, qui oppose des pronunciamientos et trophées de certains partis politiques à d’autres qui exercent un pouvoir de marketing incessant. C’est le reflet d’une particratie qui a ôté le pouvoir du Parlement et qui domine le gouvernement. La particratie a absorbé le débat démocratique. Et donc ce sont des techniciens de ministres qui réinventent la fiscalité, sans aucun contrôle démocratique.
Il doit certes y avoir quelques experts, mais qui sont ces gens sans aucune légitimité que l’obéissance à un ministre ou à un parti ? Ne serait-il donc pas normal que le nom de ces gens soit connu et surtout débattu ?
Alors oui, en fin de compte, le Parlement votera les lois fiscales et les arrêtés d’exécution suivront. Mais les parlementaires devront suivre une discipline de vote dans des matières techniques pour lesquelles ils sont souvent peu compétents, ce que je dis avec respect, déférence et réserve, car chaque discipline publique est extrêmement complexe et demande une érudition qui est elle-même fondée sur des décennies d’études et d’observations.
Et vous savez quoi : depuis des années, quand je pose des questions à des députés, par ailleurs éminemment respectables, sur telle ou telle mesure fiscale qui leur sera peut-être proposée dans le cadre d’un projet de loi, ils me disent souvent qu’ils en ont entendu parler par la presse ou pire, par les réseaux sociaux. Ils n’ont, dans la plupart des cas, aucunement été associés à la réflexion ou à la rédaction des orientations et textes.
C’est donc la presse, dont il faut remercier les courageux journalistes qui s’attaquent à des matières obscures et absconses, qui est chargée d’informer des parlementaires. Tout est dit, non ?
Et ceci me ramène à la remarque conclusive de cette chronique. Ce pays recèle de beaucoup plus d’intelligences individuelles et collectives qu’on ne le croit. Il peut s’appuyer sur des corps d’enseignants ou des organisations (réviseurs d’entreprises, experts-comptables et comptables) qui sont en contact avec les réalités de terrain et prennent le pouls de l’économie et des réalités fiscales. Je suis certain que, outre ces personnes, d’autres seraient désireuses d’apporter leur expertise dans ce qui constitue, je le répète, avec la monnaie, le lien fondamental d’une société.