Eddy Caekelberghs
Evgueni Prigojine, un Bob Denard du 21 siècle…
Wagner et son chef Evgueni Prigojine ne sont pas un “quarteron de généraux félons” comme ceux dénoncés par De Gaulle à Alger…
Je vous écris de Bialystok, sur la ligne Curzon. Définie en 1919 entre la Pologne et la Biélorussie, reprise par Staline pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est le ministre des Affaires étrangères britannique, Lord Curzon, qui va la tracer comme démarcation pendant la guerre russo-polonaise de 1919-1920. Une séparation de plus pour des populations aux langues, cultures et destinées communes. Au mépris d’une notion, il est vrai, encore formellement inexistante à l’époque: le droit des peuples à l’autodétermination. Contre celui des seigneurs de la guerre, qui pillent et tranchent dans le vif…
Aujourd’hui en Pologne, en Lituanie, en Biélorussie, c’est de la guerre en Ukraine qu’on parle. Et on suppute ce que recouvre réellement l’arrivée annoncée (puis niée) de Wagner dans la région de Minsk, puis de leur soudaine présence présumée à Saint-Pétersbourg (fief commun au patron de milices et à celui du Kremlin) alors même que le ministère et la police secrète du régime autorisent la diffusion d’images de perquisitions dans les propriétés de Prigojine. Un Prigojine dont certains prétendent aujourd’hui qu’il se serait emparé d’armes nucléaires tactiques dans son équipée. Rien ne le démontre.
Que cela veut-il dire? D’abord que ceux des “observateurs” et “commentateurs” qui ont pu prêter à Prigojine des intentions politiques ne voient que la surface des choses. Entre Poutine et lui, comme à l’époque d’Eltsine lorsqu’ils ont fait leurs débuts communs, c’est d’oligarchie, d’affairisme, de fric et de trafic dont il est question. Surtout pas d’idéologie.
Poutine ne peut détruire le groupe Wagner : c’est son bras armé en Afrique et en Syrie. Prigojine ne veut pas se tailler un royaume de pacotille. Sa logique: la guerre, le pillage, les affaires. Bref, les rapports entre milices mercenaires et pouvoir officiel. Ombres et pénombres de la violence d’Etat.
Wagner et son chef ne sont pas un “quarteron de généraux félons” comme ceux dénoncés par De Gaulle à Alger. Ce ne sont pas les Chebabs ou les troupes de Daesh même s’ils en partagent la cruauté et la violence. Ce sont des Bob Denard du 21e siècle. A l’instar de ce Français impliqué avec ses recrues au Katanga, en Iran, au Yémen, au Gabon, au Zaïre, aux Comores, entre autres. Pour le fric, avant tout!
Et si le plan était en fait d’autoriser Prigojine et ses mercenaires à ouvrir un nouveau front?
Et à Bialystok, méditant ce que l’arbre cache de la forêt, on se dit que 10 jours avant le “putsch” de Prigojine, Moscou a envoyé des armes nucléaires tactiques à Minsk. Certaines têtes sont plus puissantes que les bombes larguées par les Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Et si le plan était en fait d’autoriser Prigojine et ses mercenaires à ouvrir un nouveau front à partir du territoire biélorusse? Ou de s’en servir comme paravent pour utiliser soi-même des armes nucléaires tactiques depuis le territoire biélorusse après une mise en scène d’attaque ukrainienne?
Qui sait? Qui peut savoir? La Guerre des Mercenaires fut une révolte organisée par ceux qui constituaient une grande partie de l’armée carthaginoise à la suite de la première guerre punique. Soldes impayées, manque de confiance entre pouvoir et affidés: Flaubert en a écrit la version romantique dans Salammbô.
Mais aujourd’hui, à Bialystok et dans les zones voisines, on commente surtout le fait que ces sociétés militaires privées, dont certaines constituent aujourd’hui de véritables empires de la sécurité privée, illustrent une forme d’ubérisation de la guerre moderne dont on n’a pas fini de mesurer les impacts. Vae victis!
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