Bruno Colmant

Et si Donald Trump était un faux-monnayeur?

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

J’écris cette chronique en me rappelant ce qu’un collaborateur belge de l’ambassade américaine à Bruxelles m’avait dit en 2017 : « Donald Trump is a three dollar bill », une expression américaine désignant quelque chose ou quelqu’un de faux, suspect ou inauthentique, en référence à l’idée qu’un billet de trois dollars n’existe pas officiellement. Je ne l’ai pas oublié.

Depuis le début de l’année, le cours de l’or a augmenté de plus de 20 % en dollars. Certains pensent que l’or est une protection contre l’inflation, mais c’est inexact. En examinant les 10 ou 20 dernières années, que ce soit en dollars ou en euros, la corrélation entre le cours de l’or et l’inflation américaine ou européenne oscille entre 50 et 60 % sur 20 ans, et entre 35 et 45 % sur 10 ans. Ces chiffres montrent une relation modérée, mais pas systématique.

Les perspectives d’inflation n’étant pas particulièrement élevées, il doit y avoir une autre explication à cette hausse. Cette autre raison est l’inévitable effritement du dollar. Les États-Unis veulent favoriser cette dépréciation pour stimuler leurs exportations, rendre leurs importations plus onéreuses et rembourser leurs dettes extérieures avec un dollar affaibli (même si seulement 5 % de la dette publique américaine est détenue à l’étranger).

Ce qui suscite donc véritablement l’engouement pour l’or, c’est que cette matière précieuse est, depuis des millénaires, une monnaie sans contrepartie ni risque de crédit. Aucune monnaie fiduciaire n’a de valeur intrinsèque, mais l’or en possède une. Les intentions de Donald Trump sont claires : il souhaite faire baisser les taux d’intérêt américains en dessous du taux d’inflation. Il l’a déclaré publiquement et compte bien agir en ce sens. Si le président de la Federal Reserve s’y oppose, il pourrait être contraint de céder son poste. Même s’il résiste, les marchés anticipent déjà que son successeur, nommé par Trump, appliquera cette politique.

Aujourd’hui, Donald Trump, flanqué de quelques brillants financiers, présente au monde une équation insoluble. En effet, le dollar est une monnaie de référence parce qu’il est garanti, en dernière instance, par la capacité d’intervention militaire universelle des États-Unis. En d’autres termes, le dollar est central parce qu’il est imposé par la force, ce qui explique pourquoi les obligations du Trésor américain sont considérées comme les actifs les plus sûrs du monde. C’est d’ailleurs une coïncidence numérique, mais les États-Unis possèdent 11 porte-avions et 12 banques régionales de la Réserve fédérale. Chaque porte-avions est à la fois une armée et une banque centrale flottante.

Mais ce n’est plus tout à fait vrai, et cela le deviendra de moins en moins. La politique tarifaire imprévisible de Trump, son repli commercial et militaire isolationniste, ainsi que la sortie progressive des États-Unis des organisations mondiales — peut-être demain du FMI — fragilise cette position. À cela s’ajoute une évidente mise sous tutelle de la Réserve fédérale (FED), dont le président a été traité de « loser » par Trump, même s’il s’est ensuite ravisé. Nous nous trouvons donc face à un épisode monétaire dont l’histoire regorge, et qui explique pourquoi les banques centrales ont été créées avec une présomption d’indépendance. Cette indépendance vise à empêcher les pouvoirs publics d’utiliser la monnaie à leur profit, comme de faux monnayeurs, en manipulant sa valeur pour des gains politiques ou économiques à court terme.

Le jour où cette dynamique s’accentuera, c’est tout le système financier, déjà en apesanteur puisqu’il repose sur une fiction, qui connaîtra un trou d’air, entraînant une potentielle destruction de la finance mondiale. J’exagère, bien sûr, mais lorsqu’une devise — ou plutôt un pays — devient imprévisible, c’est ce qui risque de se produire. On me rétorquera qu’il n’existe pas d’alternative. C’est vrai. Mais le dollar perd peu à peu son attribut de confiance, tout comme la dette publique américaine détenue à l’étranger.

C’est de là que viendra la prochaine crise financière, qui pourrait être la pire depuis celle de 1929. C’était il y a presque un siècle. Et un homme d’Église, l’abbé Joseph Marie Terray (1715-1778), contrôleur général des finances du Royaume de France de 1769 à 1774, aurait déclaré : « La banqueroute est nécessaire, une fois tous les siècles, afin de mettre l’État au pair. »

En conclusion, ce que nous observons depuis l’élection de Donald Trump relève d’un très mauvais rêve, et le pire arrive : le dollar devient une devise imprévisible et c’est peut-être le début d’un grand choc financier. Et l’or en est le baromètre.

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