Amid Faljaoui

Elon Musk : quand le pouvoir rappelle qui commande vraiment

Il fut un temps où Elon Musk pouvait se croire intouchable et au-dessus des lois. Le patron de Tesla, de SpaceX, de X, de Starlink, l’homme qui veut coloniser Mars et réinventer Internet, l’homme le plus riche du monde… Comment ne pas se sentir un peu au-dessus des lois, un peu “maître de l’univers”, comme disait l’écrivain Tom Wolfe en se moquant des traders de Wall Street dans les années 80 ? 

Sauf que dans le monde réel, il y a toujours un moment où la politique vous rappelle que, milliardaire ou pas, vous n’êtes pas le patron. Et c’est ce qui est en train d’arriver à Elon Musk. Sa chute en grâce, pour l’instant symbolique, pourrait bien devenir bien plus concrète dans les mois ou semaines à venir. 

La raison ? Après avoir financé et aidé Trump à gagner l’élection présidentielle de 2024, Musk vient de se brouiller avec lui. Et dans l’Amérique version Trump 2.0, ce genre de rupture peut coûter cher. Très cher. Le président l’a déjà menacé de lui retirer les contrats fédéraux de SpaceX, et a évoqué de “très sérieuses conséquences” si Musk venait à soutenir les démocrates. Steve Bannon, le communiquant de Trump, toujours plus radical, a carrément proposé de nationaliser SpaceX et d’examiner de près le statut migratoire de Musk, pourtant naturalisé depuis belle lurette. 

Est-ce que tout cela est sérieux ? Est-ce que cela arrivera vraiment ? Ce n’est pas la question. La vraie question, c’est que ce genre de menaces, dans un pays comme les États-Unis, n’était tout simplement pas imaginable il y a encore quelques années. 

Les milliardaires et la politique

Et pourtant, comme le rappelle très bien le Financial Times, l’histoire est pleine de ces moments où les milliardaires découvrent brutalement qu’ils ne font pas le poids face au pouvoir politique. En Russie, les oligarques ont pensé pouvoir contrôler Vladimir Poutine. Jusqu’à ce que l’un d’eux, Mikhaïl Khodorkovski, tente une aventure politique : il a pris dix ans de prison. Les autres ont compris et se sont tenus à carreau depuis lors. 

En Chine, même logique. Jack Ma, fondateur d’Alibaba, avait un peu trop critiqué le système. Son introduction en Bourse a été annulée, il a disparu de la circulation pendant des mois, puis réapparu en version silencieuse. En Arabie saoudite, c’est dans un hôtel cinq étoiles, le Ritz-Carlton de Riyad, que des Princes et milliardaires saoudiens ont été enfermés en 2017, dans le cadre d’une “opération anti-corruption” qui ressemblait surtout à un rappel à l’ordre signé Mohammed ben Salmane, le prince héritier du Royaume. 

Et ce n’est pas réservé aux autocraties. En démocratie aussi, le message passe : vous pouvez être riche, mais ne devenez pas trop indépendant. Jamais. En Inde, la richissime famille Ambani ne conteste jamais le pouvoir de Narendra Modi. Au Mexique, Carlos Slim, le milliardaire des télécoms, garde ses distances avec la politique, tout en restant proche de tous les présidents, y compris le très à gauche López Obrador. C’est une stratégie intelligente : ne jamais devenir une cible. 

L’argent roi ?

Ce que montre cette série d’exemples – Chine, Russie, Arabie, mais aussi États-Unis, Inde ou Mexique – c’est que l’alliance entre l’argent et le pouvoir est toujours fragile. Et au passage, elle ridiculise une vieille idée : celle que l’argent dirige tout. Marxistes, gauchistes et autres économistes de plateau nous répètent depuis un siècle que les puissants tirent les ficelles parce qu’ils détiennent les capitaux.  

Faux. L’histoire récente démontre exactement l’inverse. Au final, ce n’est pas le grand capital qui l’emporte, c’est l’appareil répressif. Comme l’avait très bien compris Mao – avec le charme qu’on lui connaît – le vrai pouvoir, ce n’est pas le capital, c’est le pistolet. Et les hommes politiques, eux, ont les clés de l’armurerie. 

L’argent a beau être roi dans le monde globalisé, il reste une devise secondaire face à la monnaie politique : le pouvoir de faire la loi, de la tordre, voire de la retourner contre vous. Et c’est ce que risque de faire Trump à l’encontre de Musk.  

Alors oui, les milliardaires peuvent tenter de contourner le problème en devenant eux-mêmes le pouvoir. C’est ce qu’ont fait Berlusconi ou Trump aux États-Unis. Mais c’est une exception. La plupart préfèrent rester dans l’ombre, flatter, financer, influencer, mais sans jamais défier le politique. Musk, lui, croyait pouvoir jouer dans la cour des rois. Aujourd’hui, il découvre que dans ce jeu-là, les cartes sont truquées. Et qu’il n’est pas le croupier. 

Alors doit-on verser une larme sur le sort du milliardaire ? Franchement, non. Car comme le dit Scott Galloway – professeur, entrepreneur, et grand décodeur du capitalisme numérique – ce n’est pas parce qu’on peut faire atterrir une fusée qu’on peut sniffer n’importe quoi en public, négliger ou abandonner ses enfants, insulter ses collaborateurs ou poster des mèmes débiles à trois heures du matin, qu’on est l’abri d’un revers de fortune. L’arrogance n’est pas un bon business plan. 

Pire encore comme le dit Scott Galloway auprès de mon confrère Piers Morgan : Musk est en train de devenir le symbole toxique d’une génération de jeunes gens qui croient qu’on peut être génial, riche, mégalo… et au-dessus des règles. Mais un bon modèle, ce n’est pas quelqu’un qui s’imagine invincible parce que le monde entier considère qu’il est un génie. 

Musk voulait dominer l’univers. Il ferait bien de commencer par redescendre dans le réel. Parce que dans ce monde-ci, même les fusées doivent respecter la gravité. 

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