Amid Faljaoui
Drogue, règlements de compte à Bruxelles et marché de l’offre et de la demande
Parler de la drogue, c’est aussi parler d’économie, d’offre et de demande. Les médias, eux, ont surtout parlé des dégâts et de l’effroi causés par les règlements de compte entre dealers à Bruxelles, à Anvers, mais aussi à Marseille. Ces trois villes sont, on le sait maintenant, liées via le trafic de drogue.
À Bruxelles, les dernières fusillades en pleine ville ont suscité plusieurs commentaires. Les plus optimistes, notamment certains criminologues, disent que cette violence urbaine, qui ne se cache plus, est le symptôme d’un marché de la cocaïne déstabilisé, notamment depuis qu’en 2022, la police a réussi à infiltrer le réseau de téléphone crypté Sky ECC, utilisé par la mafia de la drogue. À l’époque 110 tonnes de cocaïne, soit 5% de la production mondiale, avaient été saisies dans le port d’Anvers. Forcément, cela fait des mécontents et certains en profitent pour prendre la place des autres. C’est donc ce redécoupage du gâteau de la cocaïne qui expliquerait en partie les violences actuelles. En clair, le marché de la coke se réorganise !
Sous la présidence belge, qui comme vous le savez préside l’Union européenne jusqu’en juin prochain, les patrons des ports européens se sont réunis début d’année au port d’Anvers pour affirmer leur volonté de coopération. C’est bien, car les Pays-Bas et la Belgique se sont sentis seuls, pendant quelques années, dans ce combat contre la drogue. Il faut dire que ces deux pays, via les ports d’Anvers et de Rotterdam, sont situés au cœur de l’Europe, ils sont situés au milieu d’un réseau très dense d’autoroutes qui donnent accès direct à 4 pays limitrophes d’un seul coup. L’idéal pour les trafiquants de drogue. Mais si c’est un bon début, ce ne sera pas suffisant, car de l’avis même d’Europol, il faudrait saisir 20% des quantités de cocaïne arrivant en Europe pour voir les prix de vente augmenter et donc dissuader la demande. Pour l’instant, les prix de la coke restent stables voire même en baisse.
On voit aussi que les opérations coups de poing ne suffisent pas. C’est, hélas, surtout de la com’ pour rassurer les citoyens, mais c’est assez inefficace. On l’a encore vu à Marseille après le déplacement récent d’Emmanuel Macron, une fois le président parti, le trafic est revenu comme avant. Comme le fait remarquer Alain Bauer, professeur de criminologie au conservatoire national des arts et métiers, « on sous-estime la flexibilité des opérateurs criminels (…). Ils sont capables de réinvestir rapidement les lieux avec de nouveaux outils de commercialisation et de distribution de type « UberShit » qui permettent de recevoir à domicile Pizza, Burgers et Stupéfiants ». En fait, ce que Alain Bauer veut dire par là, c’est que la présence ponctuelle de la police ne sert à rien sauf au niveau de la com’, et vouloir assécher un territoire avec une présence massive de policiers sur une plus longue durée, un mois par exemple, servira sur le plan sécuritaire à court terme, mais pas à long terme, car il y a les trafiquants, mais aussi tout le réseau sur place de « nourrices, de guetteurs, d’agents commerciaux » et j’en passe qui vivent de ces trafics. Une présence d’un mois va juste provoquer une rupture dans les capacités de production et risque de provoquer aussi des tensions voire des émeutes. C’est la raison inavouable pour laquelle les gouvernements et autorités locales sont aussi prudents.
Que faire alors ? Il faut continuer le combat et la coopération entre pays, mais aussi s’attaquer à la demande et pas seulement à l’offre, et notamment du côté des jeunes, des mineurs qui sont de plus en plus attirés par la drogue. Il faut briser le « mimétisme », cette tendance des enfants à agir comme les adultes, à subir le réflexe de bande, à imiter le « chef ». Comme le fait remarquer Jacques Garello, un professeur d’université de Marseille, il faut que l’éducation nationale, l’école donc, se saisisse aussi de ce problème. L’école enseigne fort bien les dégâts liés au réchauffement climatique, l’école s’inquiète des inégalités sociales, et c’est très bien, mais il faut aussi qu’elle enseigne quelques valeurs morales : apprendre aux élèves qu’il y a un bien et un mal, qu’il faut respecter les autres et elle doit aussi apprendre comment éviter le harcèlement.
Tout cela a l’air théorique, mais pas du tout, selon Jacques Garello, ce genre de programme a donné d’excellents résultats en Australie et en Corée du Sud, deux pays où la drogue, chez les jeunes, a été totalement éliminée.
Quant à la légalisation des stupéfiants pour faire dégringoler les prix, cela ne marche pas, car l’argent vient surtout de la cocaïne et nettement moins du cannabis. Notre ministre de l’intérieur se pose même la question s’il ne faut pas négocier directement avec les groupes criminels en Colombie ou en Équateur et signer des contrats avec eux ? Vous voyez, rien n’est simple, on est loin du YAKA FOKON.
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