Typhanie Afschrift

Désobéir, une vertu ?

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

On a fait grand cas des déclarations de Jean-Marc Nollet, coprésident du parti écolo, qui a incité à la “désobéissance civile” en prenant parti pour les activistes du mouvement “code rouge” qui, en claire illégalité, s’étaient introduits en des endroits non accessibles au public de certains aéroports.

Il s’agit là de comportements qui correspondent à une certaine définition de la “désobéissance civile” : un acte illégal commis, assumé et revendiqué de manière publique pour soutenir une cause. Ces caractéristiques ne suffisent évidemment pas pour éviter les sanctions pénales prévues dans ces cas, ni les sanctions civiles. En l’espèce, si l’immixtion dans des aéroports a causé des retards de vols, on peut parfaitement imaginer que les compagnies aériennes réclament de lourds dédommagements pour de tels retards. La désobéissance civile est fautive et entraîne des sanctions… civiles.

Cela dit, ces déclarations, tout comme les ripos­tes des autres partis politiques, ont quelque chose de pathétique : nous avons tellement de textes légaux dans notre arsenal législatif que pratiquement tout le monde finit un jour par en enfreindre sans que, pour la plupart d’entre eux, il s’agisse de comportements réellement graves. On peut donc difficilement jeter la pierre à Jean-Marc Nollet pour des déclarations strictement électoralistes.

On ne peut soutenir les actes de blocages systématiques des routes, des rues, et des carrefours, qu’adoptent la plupart de ceux qui protestent contre quelque chose.

Ce n’est pas une raison pour le hisser au rang des grands apôtres de la désobéissance civile. On pourra rappeler à M. Nollet que le premier cas connu de désobéissance civile est celui de Henry David Thoreau qui, farouchement opposé à un impôt, a volontairement refusé de le payer pour être envoyé en prison et… le faire savoir. Il n’est pas certain que Jean-Marc Nollet approuve un tel comportement pour tous ceux qui s’abstiennent de payer l’impôt dans les gouvernements où son parti est au pouvoir. D’autres, comme Martin Luther King, ont adopté un comportement de désobéissance civile en enfreignant, comme Thoreau, la norme même qu’ils veulent voir disparaître, en l’espèce les lois ségrégationnistes d’Etats américains dans les transports publics ou d’autres lieux publics.

A la différence du comportement de “code rouge”, Thoreau et King ont enfreint la norme contre laquelle ils militent. Ce n’est pas le cas de nombreux militants écologistes, en Belgique ou à l’étranger, qui commettent des infractions en général très mineures simplement pour s’assurer une grande publicité. Ainsi, le fait de jeter de la soupe non pas sur la Joconde mais sur la vitre blindée qui la protège est tout juste comparable, en droit, à l’acte de celui qui jette un mégot par terre. Cela n’a strictement rien à voir avec la cause que ces militants défendent mais ils s’assurent seulement un maximum de publicité.

C’est pour la même raison qu’on ne peut soutenir les actes de blocages systématiques des routes, des rues et des carrefours qu’adoptent la plupart de ceux qui protestent contre quelque chose. Ces gens, comme les agriculteurs aujourd’hui, les syndicalistes ou les camionneurs hier, ne deman­dent évidemment pas que l’on ne puisse plus circuler dans les carrefours mais recherchent simplement une publicité en commettant un acte illégal jugé “pas trop grave”.

Il est difficile de comparer ce type de désobéissance avec celui qui consiste à enfreindre précisément la norme que l’on critique. Bloquer des routes ou jeter de la soupe dans un musée, c’est uniquement publicitaire. Mais le plus souvent, on cause aussi des dommages à des personnes parfaitement innocentes qui n’ont rien à voir avec les normes que l’on espère changer. Espérer être comparé, en ayant un tel comportement, à Martin Luther King ou Henry David Thoreau, c’est un peu injurieux pour leur mémoire.

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