Philippe Ledent
Des perspectives économiques nuancées, ce n’est pas la fin du monde
Lors d’une conférence que je donnais récemment, le patron d’une entreprise évoquait le fait qu’il y avait un contraste entre mon analyse de la situation macroéconomique, plutôt nuancée, pour ne pas dire mitigée, et la situation de son entreprise, puisqu’il est bien parti pour faire une année record. Ce n’est pas la première fois que je suis interpellé sur ce thème et j’ai toujours trouvé cette constatation très intéressante. Elle n’est pas du tout provocatrice, mais rappelle que les liens entre la microéconomie (les situations particulières) et la macroéconomie (la situation globale) ne sont pas toujours simples et indique peut-être aussi que la situation économique présente est plus contrastée que d’habitude.
La situation macroéconomique est l’intégration de l’ensemble des situations microéconomiques. Les deux devraient donc être entièrement compatibles, et elles le sont ! Néanmoins, on ne parle pas nécessairement la même langue. Pour un macroéconomiste (non adepte de la décroissance), un affaiblissement de la croissance en dessous de la croissance potentielle de l’économie est une mauvaise nouvelle. Il n’empêche, l’activité économique continue de progresser et, si l’on y ajoute l’évolution des prix, il est clair que cette croissance molle est parfaitement compatible avec le fait que de nombreuses entreprises atteindront un niveau record de leur chiffre d’affaires, de leur valeur ajoutée et même peut-être de leur résultat. Ce qui est mitigé pour l’un peut être suffisant pour l’autre.
Néanmoins, quand la croissance économique ralentit et que les perspectives s’assombrissent, il serait étonnant de voir TOUS les chefs d’entreprises satisfaits de leur situation et sereins quant à l’avenir. Ceci m’amène à une caractéristique importante de la situation économique actuelle : elle est très contrastée entre les secteurs et même à l’intérieur de ceux-ci.
Le plus gros problème se situe dans le secteur manufacturier, dont l’activité ne cesse de diminuer (ce fut encore le cas au deuxième trimestre de cette année). Depuis le troisième trimestre de 2022, l’activité industrielle a baissé de 4,8%. C’est énorme et il faudrait que tout le monde s’en inquiète. Cela se traduit aussi par un effet négatif sur la croissance globale de l’activité, alors même que d’autres secteurs de l’économie se portent mieux, et parfois beaucoup mieux.
De plus, on observe qu’à l’intérieur même du secteur industriel, les situations sont différentes. Oui, l’industrie automobile européenne est malade. A titre d’exemple, l’Allemagne produit encore en moyenne 350.000 nouveaux véhicules par mois, alors que jusqu’en 2018, cette production atteignait plus de 100.000 unités de plus par mois. Cette faiblesse est partagée par d’autres groupes automobiles européens et pèse forcément sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de l’acier aux équipementiers. A côté de cela, d’autres secteurs industriels se portent mieux.
Des perspectives économiques nuancées ne signifient pas la fin du monde, ni même l’absence d’opportunité.
Enfin, à l’intérieur de chaque sous-secteur, des différences de performances existent entre les entreprises en fonction des choix qui ont été faits par rapport à des innovations technologiques majeures ou en fonction de l’exposition de chaque entreprise aux nombreuses difficultés du moment (que ce soit les problèmes géopolitiques ayant un impact sur l’approvisionnement ou les clients, les prix des matières premières, etc.). Bref, chaque secteur subit aussi des changements profonds, ce dont certaines entreprises sortent gagnantes alors que d’autres disparaissent.
En conclusion, des perspectives économiques nuancées ne signifient pas la fin du monde, ni même l’absence d’opportunité. Elles signifient simplement que les gagnants sont un peu moins nombreux, et les perdants un peu plus à risque. Et c’est cela qui doit retenir l’attention de la politique économique.
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