Philippe Ledent
Défier les lois économiques ne sert à rien
Avec le covid, on pensait avoir tout vu en matière de choc sur l’activité économique. Avec l’après-covid et la guerre en Ukraine, on pensait avoir tout vu en matière d’inflation. Mais voilà, le deuxième mandat de Donald Trump annonce clairement de nouveaux chocs d’une ampleur inédite, testant la résistance des structures économiques bâties après la Seconde Guerre mondiale.
En l’espace de 10 jours, on a assisté à une altercation surréaliste entre Trump et Zelensky, à un revirement complet de l’orthodoxie budgétaire allemande, à une allocution certes solennelle mais quelque peu anxiogène du président Macron et à un sommet européen promettant la neutralisation des dépenses militaires dans le calcul du déficit public. Il faudrait y ajouter, quelques jours plus tôt, l’annonce par la Commission d’une simplification de la régulation en matière de reporting climatique. Et que dire des décisions en matière de commerce international ? Des tarifs à l’importation de 25% ont été introduits le mardi 4 mars par les USA à l’encontre du Mexique et du Canada, avant d’être postposés pour un mois… le lendemain. Si tout cela n’avait pas potentiellement des conséquences sur des millions de consommateurs et de travailleurs, on en rigolerait. Bref, en caricaturant à peine, la mondialisation semble bel et bien morte et enterrée, les objectifs climatiques sont relégués en deuxième division et tout le monde se demande quelle sera la prochaine lubie du président américain.
Face à une telle incertitude géopolitique et économique, on serait tenté de baisser les bras en matière de prévisions économiques. Peut-être faut-il simplement avouer qu’on ne sait plus rien prédire. Faux ! Ce serait une erreur, car ce serait accepter l’idée que les théories économiques fondamentales doivent être remises en cause et que dès lors, tout et n’importe quoi peut être décidé et testé. Non, la Terre n’est pas plate, oui, la Terre se réchauffe, et non, le protectionnisme n’est pas bon pour la prospérité économique. Loin de l’idée qu’il faudrait oublier les théories du passé, nous vivons précisément une période nécessitant d’en revenir aux fondamentaux de la théorie économique.
Nous vivons une période nécessitant d’en revenir aux fondamentaux de la théorie économique.
S’agissant du commerce international, la montée du protectionnisme fera certainement quelques heureux. Vous trouverez bien des producteurs locaux heureux d’une augmentation soudaine de la demande “grâce” aux tarifs et aux mesures de rétorsion. Mais pour un gagnant, combien y aura-t-il de perdants ?
S’agissant du réarmement, il mobilisera d’importants moyens, et les montants annoncés laissent espérer qu’au moins, ils seront un facteur de relance économique. Et ce n’est pas faux. Mais dans le même temps, la théorie économique (et la réalité technique) nous écartera de toute euphorie :
- 1. à court terme, 60% du matériel militaire sera importé, car il n’est techniquement pas possible de faire autrement, l’impact économique est donc faible ;
- 2. entre la décision et les premières commandes, il y aura un délai important, si bien qu’il sera difficile d’avoir un effet positif sur la croissance avant 2026 au plus tôt,
- 3. l’économie européenne ne souffre pas d’un manque de demande, mais au contraire risque de buter très vite contre des contraintes d’offre (main-d’œuvre, matières premières, composants, énergie), or cette contrainte d’offre est de nature à relever l’inflation ;
- 4. enfin, et c’est peut-être le plus important, les dépenses militaires vont mobiliser d’importants moyens qui auraient pu être alloués à d’autres fins.
Pour conclure brièvement : la “nouvelle ère” qui commence présente certes quelques aspects intéressants sur le plan économique. Mais fondamentalement, la paix et la coopération économique auraient été mieux… Bien mieux…
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