Bruno Colmant

Dans l’ère de l’intelligence artificielle, l’agilité professionnelle est le seul super pouvoir

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

L’idée de l’emploi à vie est révolue depuis longtemps, encore que ce soit un espoir secret auprès de nombreux salariés qui se disent qu’il devrait être possible de « tenir » suffisamment longtemps pour que la protection sociale ajoutée à l’ancienneté puisse faire la jonction avec une préretraite. Ce n’est pas une fiction : j’en connais beaucoup.

Mais nous ne réalisons pas quelque chose de fondamental : sauf à avoir un ancrage profond et une capacité à imposer sa marque et ses prix, dans une configuration qui relèverait de l’oligopole ou du monopole, les entreprises dominantes dans 10 ans ne sont pas celles d’aujourd’hui.  

Et il y a plus grave. Les entreprises qui ne font pas immédiatement les bons choix stratégiques vont immanquablement souffrir de la pire torture : la mort lente, accumulant plans de réorganisation sur licenciements, ajustement sur rebonds temporaires. 

En fait, c’est maintenant que les meilleurs éléments doivent prendre le commandement de l’entreprise, qu’elle doit faire l’exercice de se projeter au-delà des résultats du trimestre, pour s’assurer que les choix fondamentaux sont effectués dans un contexte d’intelligence artificielle où tout ce qui peut être automatisé, ou délégué, le sera. 

La même chose vaut pour un travailleur, quel que soit son âge, et d’autant plus s’il est jeune. Sa carrière tient à sa capacité, au-delà de l’apprentissage élémentaire, à transformer l’entreprise. C’est donc de la génération des plus jeunes que le futur doit venir. 

Et cela signifie qu’il faut, à tout moment, se trouver en situation de licenciement avec la question de savoir si cela vaut la peine de transformer l’entreprise en étant écouté, ou si les forces de résistance au changement sont tellement importantes que c’est peine perdue. Ces entreprises suivent le chemin de l’échec, et il faut alors réorienter sa carrière, immédiatement, comme si le jour d’un licenciement, il y avait toujours un plan B. 

En fait, face à ce kaléidoscope de transformations où la disruption est la seule constante, l’immobilisme est devenu le plus grand risque, tant pour l’individu que pour l’organisation. Les compétences acquises hier ne garantissent plus la pertinence de demain : elles peuvent même devenir des entraves si elles ne sont pas constamment réévaluées et complétées. Se réinventer n’est plus une option stratégique ou un simple conseil de carrière, c’est une exigence existentielle. 

Cette réinvention permanente dépasse largement l’acquisition de nouvelles certifications ou la maîtrise d’outils numériques. Elle est avant tout une gymnastique intellectuelle et émotionnelle : la capacité à désapprendre ce qui n’est plus pertinent, à remettre en question ses certitudes les plus ancrées, et à embrasser l’inconnu avec curiosité plutôt qu’avec crainte. C’est sortir de sa zone de confort non pas par contrainte, mais par conviction profonde que chaque mutation du marché, chaque avancée technologique, est une chance de muter soi-même, de redéfinir son rôle et d’élargir son champ d’action.  

Ce n’est qu’en cultivant cette agilité perpétuelle que l’on passe du statut de spectateur passif à celui d’architecte proactif de sa propre trajectoire, transformant ainsi la menace de la fin de l’emploi en une succession infinie d’opportunités de carrière et d’épanouissement personnel. 

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