Bon, je vous plante le décor. On est en décembre. Vous avez une liste de cadeaux, zéro inspiration, et ce sentiment très moderne d’être déjà fatigué avant même d’avoir commencé. Or, cette année, il y a une nouveauté : de plus en plus de gens ne cherchent même plus. Ils délèguent. Ils demandent à une IA.
C’est simple : vous tapez “cadeau pour ma sœur, 30 ans, sportive, budget 70 euros, pas un truc ringard”, et le chatbot vous sort une sélection, compare, résume les avis… et parfois il peut même vous emmener jusqu’à l’achat. On est en train de passer d’un shopping style “je fais le tour” à un shopping “mon agent s’en occupe”.
Et économiquement, cela change tout. Parce que, dans le commerce, celui qui contrôle l’entrée contrôle une partie du jeu. Pendant des années, l’entrée, c’était la rue commerçante. Puis c’était Google. Pour beaucoup d’achats, c’est devenu Amazon. Et maintenant, la grande question, c’est : est-ce que demain, l’entrée, ce sera une conversation ? Un assistant ? Un chatbot ?
Vous voyez l’idée : au lieu d’aller sur dix sites, vous envoyez un agent faire le tour du marché pour vous. Il regarde les stocks, il suit les prix, il vous dit “le meilleur rapport qualité-prix, c’est celui-là”, et hop, vous l’achetez. C’est confortable, évidemment. Mais pour les marques et les distributeurs, c’est un cauchemar potentiel. Parce que si le client ne vient plus sur votre site, vous perdez l’attention, vous perdez la relation… et donc vous perdez du pouvoir.
C’est pour cela que les gros du retail réagissent très différemment. Certains se crispent : “pas question qu’un intermédiaire s’interpose entre nous et le client”. D’autres font l’inverse : “si le chatbot m’apporte des clients que je n’aurais jamais eus, je prends”. Et cela, c’est déjà une fracture intéressante : ceux qui veulent garder un univers fermé, et ceux qui préfèrent être présents partout, même si c’est chez quelqu’un d’autre.
Mais il y a un point que les gens sous-estiment : un agent d’IA, aussi malin soit-il, n’a pas toujours les bonnes infos. Il ne connaît pas forcément votre historique, vos tailles, vos goûts, ce que vous avez déjà renvoyé, vos préférences de livraison. Il peut se tromper sur les prix, sur la disponibilité, sur le délai. Et les distributeurs se servent de ces critiques pour pousser leurs propres assistants : “le nôtre sera meilleur parce qu’on a la donnée”. Au fond, c’est la vraie loi de ce marché : l’IA compte, mais la donnée perso compte encore plus.
Et puis arrive la question qui peut tout gâcher : la pub. Parce que tant qu’un chatbot vous conseille, vous vous dites “ok, c’est neutre”. Mais le jour où ces outils deviennent des panneaux publicitaires déguisés, vous commencez à douter. Est-ce qu’il me recommande vraiment le meilleur produit ? Ou celui de la marque qui a payé ? Et là, la confiance se casse vite. Or, dans l’économie de l’attention, la confiance, c’est la monnaie la plus rare.
Du coup, les marques s’adaptent déjà. Avant, elles optimisaient leur visibilité sur Google : le fameux SEO. Demain, elles vont optimiser leur visibilité dans les réponses des chatbots. Autrement dit : elles ne veulent plus seulement être bien référencées, elles veulent être “recommandées” (le GEO remplace le SEO). C’est une bataille pour des rayons invisibles et pour le droit d’apparaître dans les trois produits que l’agent vous met sous le nez.
Et je termine avec un paradoxe que j’adore : plus le shopping en ligne se fait “dans la conversation”, plus les magasins physiques pourraient redevenir précieux. Parce qu’un magasin, c’est une expérience : une vitrine, une ambiance, un vendeur, du contact. L’IA est très forte sur un aspirateur ou un casque audio. Bref, des produits standardisés. Elle est beaucoup moins forte sur le style, le goût, le “vibe”. Donc on risque d’avoir deux commerces. D’un côté, l’achat automatisé, rapide, optimisé. De l’autre, l’achat émotionnel, où on veut voir, toucher, essayer, ressentir.
La vraie question, au fond, n’est pas “est-ce que l’IA va nous aider à acheter ?” Elle va le faire, c’est sûr. La vraie question, c’est : à qui on confie notre décision d’achat. Parce qu’un intermédiaire qui s’installe entre vous et le produit ne prend jamais seulement une commission en euros. Il prend aussi des données… et parfois, doucement, il prend le volant. Mon conseil, faites comme un ami entrepreneur: il est pour l’IA pro, mais la combat dans sa vie privée. Il refuse tous les cookies… résultat, l’IA ne lui propose rien !