Dans mon dernier ouvrage, « Donald Trump : le spectre d’un fascisme numérique », j’explique la trame du mouvement MAGA. En voici quelques extraits.
La Destinée Manifeste (Manifest Destiny), cette doctrine politique et idéologique emblématique du XIXe siècle américain, fut bien plus qu’une simple expression : elle incarna l’esprit d’une nation en pleine expansion, une conviction profonde que les États-Unis étaient voués par une volonté divine à s’étendre et à dominer le continent nord-américain, de l’océan Atlantique au Pacifique. Cette notion ne désignait pas une simple ambition territoriale, mais plutôt un mandat céleste, une mission sacrée de propager la démocratie, la liberté et les institutions républicaines sur un vaste territoire perçu comme vide ou sous-utilisé. Elle se nourrissait des idéaux d’exceptionnalisme américain et de la croyance en une supériorité culturelle et politique anglo-saxonne, des principes qui ont profondément modelé la géographie et l’identité des États-Unis.
Propager la démocratie et la liberté
Les racines de cette idéologie puisent dans l’histoire coloniale du pays, notamment dans le concept puritain, qui suggérait que l’Amérique était un modèle pour le monde. Au fil du temps, cette notion a évolué pour justifier une expansion agressive. La Destinée Manifeste reposait sur plusieurs piliers fondamentaux. Premièrement, elle invoquait une justification divine : l’idée que Dieu lui-même avait choisi le peuple américain pour cette tâche colossale. Cette conviction religieuse conférait un caractère irréfutable et moral à l’expansion, transformant la conquête de terres en une obligation pieuse plutôt qu’en un simple appétit de puissance.
Le territoire à acquérir n’était pas seulement une opportunité, mais un don divin que les Américains avaient le devoir d’exploiter et de civiliser. L’expansion était perçue comme un moyen de propager la démocratie et la liberté. Les partisans de la Destinée Manifeste soutenaient que l’extension des frontières américaines était synonyme de l’extension des principes républicains, de la justice et du progrès. Ils voyaient dans les peuples autochtones et les colons mexicains des populations incapables de gérer ces immenses territoires de manière efficace, et estimaient que l’Amérique avait une responsabilité de leur apporter la lumière de la civilisation et les bienfaits de l’autonomie gouvernementale. Cette vision dissimulait souvent une condescendance profonde et une justification des expulsions forcées et de l’assimilation culturelle.
La Destinée Manifeste s’est traduite par une série d’acquisitions territoriales majeures
La mise en œuvre de la Destinée Manifeste s’est traduite par une série d’acquisitions territoriales majeures qui ont transformé radicalement la carte de l’Amérique du Nord. L’achat de la Louisiane en 1803 par Thomas Jefferson en portait déjà l’esprit, doublant la taille du jeune pays. L’annexion de la Floride en 1819 et celle du Texas en 1845 ont consolidé la position des États-Unis dans le Sud. La question de l’Oregon, résolue en 1846 avec la Grande-Bretagne, a permis d’atteindre le Pacifique au nord-ouest. Cependant, l’épicentre de l’expansionnisme manifeste fut sans doute la guerre américano-mexicaine (1846-1848). Ce conflit, largement motivé par des ambitions territoriales, aboutit à la cession mexicaine, ajoutant un territoire immense incluant la Californie, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, le Nevada, l’Utah et une partie du Colorado, scellant ainsi l’objectif d’une nation transcontinentale.
Les conséquences de la Destinée Manifeste furent profondes et souvent contradictoires. D’un côté, elle a cimenté l’unité géographique des États-Unis, jetant les bases d’une puissance économique et stratégique mondiale. Elle a favorisé le développement de vastes infrastructures, notamment les chemins de fer transcontinentaux, qui ont accéléré l’intégration économique et la mobilité des populations. D’un autre côté, cette expansion a eu des répercussions désastreuses pour les populations autochtones, entraînant des déplacements forcés, des guerres sanglantes, la perte de leurs terres ancestrales et un génocide culturel. Pour le Mexique, elle a signifié la perte d’une part colossale de son territoire, marquant durablement les relations entre les deux nations.
La question explosive de l’esclavage
Sur le plan interne, l’expansion a exacerbé les tensions régionales, notamment la question explosive de l’esclavage. Chaque nouvelle acquisition de territoire ravivait le débat houleux sur la permission ou l’interdiction de l’esclavage dans ces nouvelles terres, créant un déséquilibre fragile qui a finalement conduit à la Guerre civile. La Destinée Manifeste, en tant que moteur de l’expansion, est ainsi devenue un corollaire involontaire de la fracture nationale la plus profonde de l’histoire américaine.
La Destinée Manifeste représente un chapitre fondamental et complexe de l’histoire des États-Unis. Elle fut le reflet d’une confiance en soi démesurée, d’une foi inébranlable dans le destin providentiel de la nation, et d’une vision idéaliste de la propagation de la démocratie. Mais elle fut aussi le voile derrière lequel se cachait une réalité brutale de conquête, d’injustice et d’oppression. Son héritage est un mélange inextricable de grandeur nationale et de tragédie humaine, un miroir des paradoxes inhérents à la construction d’une grande puissance.
Une exceptionnalité américaine assumée
Cet héritage, complexe et paradoxal, résonne de manière singulière avec des expressions plus contemporaines de l’ambition nationale américaine. L’idée d’une MAGA (« Make America Great Again ») – d’une nation qui doit toujours être remise au premier plan, selon une vision singulière de son apogée – trouve un écho historique puissant dans cette Destinée Manifeste. Les discours de figures politiques récentes, à l’image de Donald Trump et de sa formule « America First », reprennent ce fil d’une exceptionnalité américaine assumée, parfois perçue comme un droit inaliénable à définir sa propre voie, sans égard pour les contraintes extérieures ou les compromis multilatéraux.
Les similitudes entre la Destinée Manifeste et l’approche de Donald Trump, bien que non territoriales au sens propre du XIXe siècle, résident profondément dans une mentalité sous-jacente. La Destinée Manifeste invoquait une légitimité divine et une mission civilisationnelle pour justifier l’expansion. De la même manière, la rhétorique trumpienne et le mouvement MAGA s’appuient sur une vision d’exceptionnalisme américain et d’une grandeur à restaurer, justifiant des politiques nationalistes et unilatérales. Tout comme l’expansion au XIXe siècle était perçue comme nécessaire pour la sécurité et la prospérité du pays, les politiques de frontières solides, de protectionnisme économique et de réaffirmation de la puissance militaire sous Trump peuvent être vues comme une tentative moderne de sécuriser et de dominer le rôle de l’Amérique, non plus géographiquement, mais économiquement, culturellement et politiquement sur la scène mondiale.
Il s’agit de reprendre le contrôle de son destin, de rendre l’Amérique grande à nouveau par des moyens qui, si différents dans leur exécution, partagent avec la Destinée Manifeste une même conviction d’une Amérique dominante, autosuffisante et guidée par sa propre conception de la grandeur, quitte à bousculer les normes internationales ou les alliances établies.