Depuis le braquage du Louvre, il flotte comme un parfum de hype autour du hold-up. Il nous a offert une réactivation parfaite de l’éternel frisson que nous ressentons pour les “casses du siècle” en nous en proposant une version open source : une exécution comme un flash mob, idéale pour les boucles TikTok, les mèmes et les blagues en ligne.
Les braqueurs ont ainsi procuré au monde entier un divertissement à l’esthétique calibrée des casses “propres” à l’ancienne, à la Ocean’s Eleven, l’Affaire Thomas Crown ou aux ersatz sur Netflix – la série Lupin, sise justement au Louvre. Ils ont même été élevés par certains au rang de lanceurs d’alerte pour avoir, par leur acte, révélé à la face du monde le déclin français. Un remake du récit tant apprécié – à l’étranger, mais aussi en France – du déclin hexagonal : un an après la superbe des JO de Paris, le french bashing redevient sport olympique.
Mais on peut tout aussi bien, comme le fait l’écrivaine Sloane Crosley dans une brillante tribune du New York Times, comprendre ce “divertissement” au sens où l’entendait le philosophe Blaise Pascal, à savoir comme quelque chose qui nous détourne de l’essentiel. Car, note-t-elle, pendant que les Américains ont les yeux braqués sur ce vol tangible et vintage de bijoux, ils sont “divertis” du pillage systémique perpétré sous leurs yeux par l’administration Trump : l’inside job sur l’État fédéral ou la main basse sur la East Wing de la Maison Blanche.
Pendant que les Américains ont les yeux braqués sur le casse du Louvre, ils sont “divertis” du pillage systémique perpétré sous leurs yeux.
La lecture de l’essai Apocalypse Nerds. Comment les technofascistes ont pris le pouvoir, de Nastasia Hadjadji et Olivier Tesquet (éditions Divergence), procure en ce sens un effet de poupées russes vertigineux. On y découvre que se joue à l’échelle planétaire un autre casse, dont le braqueur à la cravate rouge lui-même nous “divertirait” : un braquage dans la sphère technologique. Pas celle des Gafa, dont le hold-up se fait en plein air depuis longtemps, mais dans une nouvelle galaxie de la Big Tech, celle qui gravite aux marges de la franchise Maga. Une mouvance floue rassemblée sous l’acronyme TESCREAL, qui comprend des entrepreneurs comme Peter Thiel et Elon Musk, le CEO de Palantir Alexander Karp, des investisseurs comme Marc Andreessen, des idéologues tels que Curtis Yarvin ou Nick Bostrom, ainsi que des communautés comme LessWrong et certains cercles libertariens… Une “nightmare team” déjà familière des lecteurs des derniers ouvrages de Giuliano da Empoli et du Grand Continent.
Hadjadji et Tesquet, journalistes et siliconologistes aguerris, nous détaillent dans une langue claire et précise la montée des élites techno-libertariennes et transhumanistes qui s’attaquent au pouvoir via la technologie et les plateformes. Et de fait, Apocalypse Nerds peut se lire aussi comme un Tescreal’s Eleven ou La Casa de Web3. Car au fil des pages, Hadjadji et Tesquet décrivent avec précision le modus operandi de ces nouveaux braqueurs de la Big Tech : comment ils excellent à produire le désordre comme un écran de fumée et comment ils utilisent leurs outils informatiques et cognitifs – les A.P.I. – pour faire sauter les verrous du réel.
La puissance de cet essai “page-turner” est aussi de nous révéler la nature réelle de leur butin. Il ne s’agit pas seulement de valorisations boursières pharaoniques, mais bien de faire main basse sur le futur lui-même. Notre futur. Leur coffre-fort est notre imaginaire collectif et notre capacité à décider ensemble de notre avenir. Et en posant le livre, on est saisi de vertige : cette éternelle fascination que nous portons aux braqueurs n’est pas une simple hype, comme pour le casse du Louvre, mais un blanc-seing offert pour la captation de notre horizon commun.
Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.