Philippe Ledent

Ne pas rater le train de l’IA devient le moteur de la croissance, mais attention à la promesse de rentabilité

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Depuis le début de l’année, l’activité tant en Europe qu’aux États-Unis semble légèrement meilleure que prévu. En Europe, les données et indicateurs économiques disponibles laissent entendre que la dynamique de l’investissement des entreprises reste notamment un soutien à l’économie. Compte tenu de l’incertitude en matière de commerce international et le manque de clarté régulatoire et fiscale, c’est un peu étonnant. Mais il semble que de nombreuses entreprises ne veulent pas rater le train de la digitalisation, et de l’intelligence artificielle en particulier, en accroissant leurs investissements en la matière. L’argument a même été récemment repris par Mme Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne.

Aux États-Unis, l’investissement des entreprises en matériel informatique et en software, qui progresse de près de 15% sur un an, est clairement un moteur important de croissance économique, alors que le ralentissement des créations d’emplois pourrait freiner la consommation des ménages. Le train de l’implémentation de l’intelligence artificielle dans les entreprises semble donc bel et bien en marche. Les géants américains de la tech en profitent évidemment. On pense ici aux acteurs qui développent l’intelligence artificielle elle-même, mais aussi à tous les fournisseurs de matériel (disques durs, serveurs, composants en tous genres) et à leurs hébergeurs (Amazon notamment). Et compte tenu des montants investis, cela donne des perspectives très optimistes au secteur, justifiant au moins en partie les valorisations énormes de ces géants. Faut-il rappeler que récemment, Nvidia a dépassé les 5.000 milliards de capitalisation boursière…

Ceci étant, on se rappellera que la révolution de l’internet à la fin des années 1990, ce n’était pas du vent non plus ! On vivait alors bel et bien une révolution technologique qui, en connectant les personnes et les entreprises entre elles, leur offrait de nouvelles possibilités, de nouveaux marchés et l’espérance de gains de productivité. Et de fait, ce qu’on appelait à l’époque “les technologies de l’information et de la communication” ont eu un impact majeur sur nos vies, nos emplois et notre croissance économique. Mais cela n’a pas empêché une forte correction boursière au début des années 2000 liée à “l’éclatement de la bulle internet”. En économie comme sur les marchés financiers, il n’y a pas de fatalité. L’engouement pour les innovations technologiques ne se solde pas forcément par l’éclatement d’une bulle financière. Mais on ne peut pas s’empêcher d’y penser.

Il ne faut jamais oublier que l’étape cruciale du développement économique, ce n’est pas le développement d’une technologie mais son implémentation dans les entreprises.

Le niveau de valorisation extrême d’une partie du secteur technologique américain signifie que les investisseurs sont hyper positifs quant aux retombées futures de ces technologies. Mais cette croyance n’est pas sans risque. D’une part, l’histoire montre que l’adoption de nouvelles technologies est souvent chaotique et prend plus de temps qu’on ne le pensait. Il ne faut jamais oublier que l’étape cruciale du développement économique, ce n’est pas le développement d’une technologie mais son implémentation dans les entreprises. D’autre part, les montants investis sont gigantesques. Cela demande une force de frappe financière probablement jamais connue par le passé. Et donc des montages financiers impliquant les marchés financiers, le secteur bancaire et le crédit non bancaire. Il ne faudrait pas qu’une défaillance viennent entacher ces montages parfois complexes, au risque de faire perdre confiance à plus d’un investisseur.

Bref, si l’investissement dans la digitalisation est une réalité qui impacte déjà positivement l’activité, sa rentabilité reste pour le moment surtout une promesse. Sera-t-elle tenue ?

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