La mode, mais le monde perd aussi un symbole : celui d’un créateur qui a su transformer une vision esthétique en un empire économique pesant plus de 7 milliards d’euros de revenus annuels.
Et ce succès planétaire, il le doit autant à son génie qu’à un film américain : American Gigolo.
Souvenez-vous. Nous sommes en 1980. Richard Gere traverse l’écran dans ses costumes fluides, modernes, débarrassés des épaulettes rigides des seventies. Tout le monde ne regarde pas le film, mais tout le monde remarque le style. Et ce style porte un nom : Armani. En une nuit, grâce à Hollywood, le couturier italien passe du statut de talent prometteur à celui d’icône mondiale. On dira plus tard que American Gigolo a été la meilleure publicité jamais offerte à un créateur de mode.
À partir de là, Armani devient bien plus qu’un couturier. Il devient une marque. Il décline son style d’abord dans le vestiaire masculin, puis pour les femmes, avant d’attaquer le sportswear, avec Emporio Armani. Au fil des décennies, il construit un véritable empire, dont le chiffre d’affaires direct dépasse 2,3 milliards d’euros en 2024, mais qui pèse plus de 7 milliards si l’on additionne les licences et les ventes indirectes.
Mais Armani n’était pas qu’un homme de style. C’était aussi un chef d’entreprise obsessionnel, PDG, directeur artistique et actionnaire unique de son groupe. Dans une industrie dominée par les géants français LVMH et Kering, il a fait figure d’exception. Son mot d’ordre ? L’indépendance. “Être englouti dans un conglomérat français, c’était sa terreur”, confient ceux qui l’ont côtoyé. Et jusqu’au bout, il a résisté à un rachat.
Pourtant, au printemps dernier, Armani avait fini par reconnaître qu’il n’excluait plus l’idée d’une reprise. Mais à une condition : que cela reste italien. Comme si, au-delà de sa maison, il défendait la souveraineté d’une industrie tout entière. Car Armani, c’était ça : un créateur, mais aussi un capitaine d’industrie, conscient que son nom était devenu un actif stratégique pour l’Italie.
La succession, évidemment, est la grande question. Le plan existe. Ses nièces Silvana et Roberta, son neveu Andrea Camerana, et surtout Leo Dell’Orco, son bras droit depuis 1977, sont dans la boucle. Et pour verrouiller le tout, Armani a mis en place une fondation en 2016, sur le modèle de Rolex, pour protéger son empire d’un éventuel démantèlement.
Mais la vraie interrogation demeure : un empire bâti sur la vision d’un seul homme peut-il survivre à son fondateur ? L’Italie n’est pas la seule à se poser la question. Chez Prada, le fils Bertelli se prépare à succéder. Chez Dolce & Gabbana, la relève est encore floue. Armani, lui, a tenté d’organiser l’avenir. Mais personne ne pourra remplacer son aura.
Il restera de lui cette image inoubliable : Richard Gere dans American Gigolo. Une silhouette qui a bouleversé la mode mondiale et transformé un couturier italien en star planétaire. Comme quoi, parfois, un film peut valoir plus qu’un milliard en publicité.
Armani avait une phrase fétiche : “La vie n’est pas faite pour abdiquer.” Et il n’a jamais abdiqué. Mais en préparant son empire à survivre, il a compris que la vraie élégance, ce n’était pas seulement de durer, mais de transmettre.