Typhanie Afschrift

Alexeï Navalny, héros russe et universel

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

La mort d’Alexeï Navalny dans une prison de ­Sibérie n’est hélas pas étonnante, mais elle est bouleversante. Parce que c’est la mort d’un héros comme on croit parfois, à tort, qu’il n’en existe plus au 21e siècle.

En sécurité à Berlin après avoir miraculeusement échappé aux conséquences d’un empoisonnement imputable au régime, Alexeï Navalny a eu l’incroyable audace de retourner en Russie, où il savait bien sûr qu’il serait arrêté. Ce qui s’est produit dès qu’il y est entré. Ensuite est arrivé, comme il le prévoyait aussi, ce qui arrive à tous les opposants : des condamnations devant des tribunaux fantoches pour des délits qui, en substance, consistent à ne pas être d’accord avec le régime et à le dire.

Tout cela est une constante dans l’histoire de la Russie, de celle des tsars et davantage encore du régime communiste, pas seulement sous Staline (sauf peut-être durant les années de pouvoir de Boris Eltsine). Navalny aurait pu être un héros de Tolstoï, de Dostoïevski ou de Soljenitsyne. Ce n’est pas une raison pour absoudre le régime actuel au nom d’une espèce de ‘‘relativité de la démocratie’’ que d’aucuns défendent. On éliminait sans doute plus de monde sous les tsars que sous Poutine et le nombre de victimes du communisme fut infiniment plus important encore. Mais le problème n’est pas quantitatif et les libertés sont indissociables.

Ce à quoi s’opposait Navalny, bien avant le début de la guerre en Ukraine, c’est au régime russe parce qu’il n’est pas démocratique.

Ce à quoi s’opposait Navalny, bien avant le début de la guerre en Ukraine, c’est au régime russe parce qu’il n’est pas démocratique. La première condition pour être un régime démocratique, c’est de reconnaître les libertés, dont les libertés de penser, de religion et d’expression. Ce que ne fait pas le régime russe, pas plus d’ailleurs que la plupart des Etats qui siègent à l’Onu.

La propagande russe, dont celle du site francophone Sputnik, essaie de justifier les coups d’Etat africains qui ont renversé les régimes élus et les ont remplacés par des juntes militaires. Elle le fait au nom d’une mauvaise conception d’une ‘‘théorie du climat’’ à la Montesquieu : pour elle, notre régime de liberté serait une invention de l’Occident et chaque continent, voire chaque pays, pourrait avoir un type de démocratie qui lui serait propre. On commence malheureusement à trouver beaucoup d’intellectuels européens et américains qui pensent à peu près la même chose, et le publient. Pour eux, notre système de démocratie, inextricablement lié au capitalisme sur le plan économique, ne serait qu’une modalité parmi d’autres, à mettre sur le même pied que d’autres.

Ce que ces auteurs, philosophes et économistes n’acceptent pas, c’est ce qui fait le fondement de la démocratie libérale : la primauté de l’individu et de ses droits, qui doivent s’imposer au groupe et à l’Etat. Navalny nous rappelle que sa liberté d’expression, son droit à la vie, doivent primer toute action du pouvoir, quel qu’il soit.

Il faut qu’il soit entendu, et que l’on se rappelle ce principe fondamental : les droits sont d’abord les droits des individus, que ne peut venir mettre en cause aucun pouvoir. Qu’elles soient relatives à la vie privée, à la vie sociale, à la vie économique ou à la participation à la Cité, ces libertés sont indivisibles. Cette règle doit s’imposer à ceux qui, parmi les populistes de gauche et de droite et leurs suiveurs, s’obstinent à relativiser les principes démocratiques.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content