Rudy Aernoudt
Adieu, libre-échange?
La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont porté un sérieux coup à la mondialisation.
La rupture des chaînes logistiques incite désormais les entreprises à constituer des stocks stratégiques. Le just in time est de l’histoire ancienne. Les continents ne veulent plus dépendre les uns des autres pour leurs approvisionnements cruciaux. Le libre-échange est remplacé, du moins en partie, par une certaine forme de protectionnisme.
L’industrie des semi-conducteurs illustre pleinement cette nouvelle philosophie. Les fabricants d’ordinateurs et les constructeurs automobiles déplorent une pénurie de puces. La demande mondiale est en effet extrêmement soutenue. Ce ne sont pourtant pas les fabricants, en Amérique, en Chine ou en Europe, qui manquent. Mais nous ne faisons pas confiance à ce qu’Adam Smith appelait la main invisible qui régule le marché.
Chacun tire son plan
A la place, tous les continents subventionnent largement le secteur. Le Chips and Science Act américain accorde pour 52 milliards de dollars de subventions et d’avantages fiscaux dans le but de ramener l’industrie des semi-conducteurs aux Etats-Unis. L’Europe mobilise 46 milliards d’euros pour faire passer de 9% à 20% d’ici à 2030 la part de la production de puces en son sein. Avec son projet Big Fund à 51 milliards de dollars, la Chine est évidemment dans la course. Elle exonère en outre les entreprises de l’impôt des sociétés pendant 10 ans, à condition qu’elles produisent sur place pendant 15 ans.
Le monde, ce grand village devenu ‘‘chinois’’ au fil des ans, en revient peu à peu au ‘‘made in America’’ et au ‘‘fabriqué en Europe’’.
En Asie toujours, l’Inde débloque 30 milliards de dollars pour devenir autosuffisante. La Corée du Sud offre 50% d’allégements fiscaux et 20% d’aides aux investissements pour atteindre la première marche du podium international. Et Taiwan, qui entend bien ne pas lui laisser la place, plafonne l’impôt des sociétés à 20% et assure un soutien à la R&D.
L’économie verte voit elle aussi se lever les barrières du protectionnisme. L’Inflation Reduction Act autorise les Etats-Unis à affecter 369 milliards de dollars, soit à peu près le produit intérieur brut d’un pays comme la Belgique, au soutien à la transition énergétique et aux technologies propres, mais à condition qu’elles soient “made in America”. Une aide massive qui n’est donc pas totalement exempte de protectionnisme.
Des délocalisations en vue ?
Si l’Europe ne réagit pas, nombre de ses entreprises délocaliseront tout ou partie de leur production outre-Atlantique. Le Green Deal européen intègre donc une politique en deux volets ; à un plan industriel vert (financement, réglementation stable, formations, résilience des chaînes d’approvisionnement) viendra s’ajouter un assouplissement des règles relatives aux aides d’Etat, ce qui permettra aux Etats membres d’accorder beaucoup plus facilement des subventions, y compris aux grandes entreprises.
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C’est plus qu’indispensable. D’après les plans d’investissement actuels, les plus grands fabricants de batteries électriques en Europe en 2030 seront la Chine et la Corée du Sud. Aujourd’hui déjà, trois des cinq principaux producteurs de voitures électriques sont chinois.
Le monde, ce grand village devenu “chinois” au fil des ans, en revient fort heureusement peu à peu au ‘‘made in America’’ et au ‘‘fabriqué en Europe’’. Ne nous voilons pas la face: ne faisons pas semblant de croire que la Chine ne subventionne pas, elle aussi. Reste évidemment à savoir si toutes ces aides constituent un modèle économique durable. Ne serait-il pas préférable de n’autoriser les produits à entrer en Europe qu’à condition de répondre aux critères sociaux et environnementaux stricts auxquels sont soumises nos propres entreprises?
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