Bruno Colmant

A l’heure de ChatGPT, le brevet reste indispensable

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Récemment, le débat politique belge a porté sur les droits d’auteurs, et leur statut fiscal. À intervalles réguliers, les médias se font l’écho du problème de la contrefaçon des biens de luxe. Aussi anecdotiques qu’elles puissent paraître, les images de la destruction de fausses Rolex, sacs Hermès et autres polo Lacoste ne sont pourtant pas anodines. Elles révèlent l’essence de l’économie de marché : le brevet.

Les inventions, par leurs promesses de profit, engendrent des investissements qui, en retour, suscitent des avancées techniques. Or celles-ci ne sont rentables qu’à la condition d’être protégées par le droit. D’où l’importance considérable du brevet qui confère à son titulaire le monopole d’exploiter son invention.

Le brevet est né au quinzième siècle à Venise, le berceau du capitalisme moderne. Sa découverte fut aussi importante que l’invention de la comptabilité en partie double, imaginée au même moment. Dès 1474, un privilège de 10 ans est accordé à tout inventeur d’une technique nouvelle et utile, afin d’en stimuler l’exploitation commerciale. Une loi est votée afin de formuler la protection d’un brevet. Mais le brevet ne porte pas sur n’importe quelle invention, car cela entraînerait un immobilisme du commerce : il faut que l’invention soit nouvelle, ingénieuse et utile.

Progressivement, la notion de brevet s’étend dans différentes places marchandes. Il faudra pourtant attendre le règne d’Elisabeth I (1533-1603) de l’Angleterre du 17e siècle pour que la première législation des brevets soit formulée dans ce pays.

À l’époque, c’est la Reine qui accordait les privilèges en matière d’exploitation des biens. Mais en 1601, devant une fronde parlementaire, Elisabeth annule les privilèges sur l’exploitation du sel, du vinaigre, de l’eau-de-vie et de l’huile de baleine. Désormais, les brevets sont accordés sous le contrôle du parlement pour une durée de quatorze ans. Sous le règne de Jacques Ier (1566-1625), successeur d’Élisabeth, on crée un Statute of Monopolies, c’est-à-dire une loi sur les brevets d’invention.

Aux États-Unis, la notion de brevet est rapidement formulée. En 1790, Georges Washington signe une loi protégeant les brevets. En France, une loi du 7 janvier 1791 dispose que « toute découverte ou nouvelle invention, dans tous les genres d’industrie, est la propriété de son auteur ». Cette loi assure à l’inventeur la jouissance des revenus de son invention pendant une période cinq, dix ou quinze ans. C’est Beaumarchais qui fera, durant la Révolution française, voter des « droits d’auteurs »

Mais le brevet est aussi utilisé à des fins de protectionnisme. Le Royaume-Uni garantit l’exclusivité de ses innovations en empêchant la sortie de toute machine jusqu’en 1843. En 1844, en, pleine effervescence de la révolution industrielle et de la mécanisation de l’économie industrielle, une loi française déchoit l’inventeur de ses droits s’il dépose aussi un brevet à l’étranger afin d’y développer sa production. C’est la première mesure destinée à éviter les délocalisations.

Pourtant, tous les acteurs de l’économie ne promeuvent pas la notion de brevet. L’anarchiste Proudhon (1809-1865), qui clame que « la propriété privée, c’est du vol » voit dans le brevet un facteur d’asservissement humain.

Progressivement, sous l’impulsion des Américains et des Allemands, les débats sur les brevets conduisent à la signature, en 1883, de la convention de Paris destinée à favoriser les échanges et la protection des innovations. ¨Plus d’un siècle plus tard, les accords de cette convention seront relayés par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), créée en 1994.

De nos jours, la notion de brevet prend une importance cruciale, et ce dans différents domaines. Il faut trouver un équilibre entre l’exploitation d’une rente économique et la promotion du progrès.

L’entrée dans l’économie de la connaissance interpelle la notion de propriété intellectuelle. En effet, dans une économie d’échanges matériels, la cession d’un bien va de pair avec sa dépossession. Dans une économie de l’information, un agent économique vend sa connaissance sans en être dépossédé. La notion de brevet en est donc fragilisée, puisque la notion de bien public devient extensible. Le brevet en deviendra-t-il désuet ? Certainement pas. Au contraire même : la rapidité de circulation de l’information et sa diffusion aisée rend son inviolabilité d’autant plus indispensable à l’heure de l’intelligence artificielle.

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