Bruno Colmant

2025: l’année du caractère ou de la chute morale

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Pour saisir l’esprit de la Constitution des États-Unis, ratifiée en 1788, douze ans après la Déclaration d’indépendance de Thomas Jefferson, il faut voir une volonté de rompre avec les empires et monarchies européennes. En 1776, l’Europe était dirigée par Louis XVI en France, George III au Royaume-Uni, Joseph II dans le Saint-Empire romain germanique, Catherine II en Russie, et Frédéric II en Prusse. Amendée moins de 30 fois en deux siècles et demi, cette Constitution repose sur l’équilibre des pouvoirs, les « checks and balances », pour éviter la domination d’un président ou d’une élite.

Mais c’était avant Donald Trump. Dans son récent discours sur l’état de l’Union a déchaîné une frénésie digne des pires névroses collectives, désarçonnant les démocrates, désormais perçus comme des ennemis du peuple. Tout cela relève des tristes passions. Il y avait quelque chose de profondément désespérant dans ce spectacle qui, immanquablement, me fait penser à une pièce de théâtre mal répétée par des acteurs qui n’ont pas pris la mesure de leur rôle dans l’histoire. Un représentant démocrate s’est fait éconduire, sans la moindre réaction satisfaisante..

Depuis deux ans, j’écris, persuadé de sa victoire : c’est un coup d’État électoral, évoquant les dictatures nées des urnes en Europe. On le voit déjà : muselage ou autocensure de la presse, rejet des diversités raciales ou autres, remplacement de l’État-major militaire, interdiction de certains livres et mots dans l’administration (ce qui ramène aux autodafés et autres folies orwelliennes), purges dans les administrations sous contrôle accru de la Maison-Blanche, qui s’étendra bientôt à la Federal Reserve, paratonnerre de l’économie mondiale.

L’architecture géopolitique va se fracturer et se fracasser : sortie de l’OTAN ou vassalisation des alliés, renversements des alliances aux Nations Unies, dette publique stratosphérique, effondrement du dollar, reniement de l’écologie, etc. Ces bouleversements, amplifiés par les mutations technologiques et l’endettement, déclencheront des guerres monétaires, des chocs boursiers, et des répliques sismiques, jusqu’à une stabilisation peut-être dans huit ans.

Préparons-nous : c’est imminent et faustien. Quand Trump dit que ce n’est que le début, il faut le croire. Rien ne sera plus stable. Après un quart du siècle, son espérance est déjà perdue.

Nous sommes donc à un tournant de l’Histoire, une fracture peut-être plus profonde que la Révolution russe ou l’ascension de Mao en Chine. Il ne s’agit plus d’observer les événements comme un feu d’artifice, sidéré et passif, mais d’anticiper les conséquences des actes de Donald Trump et de ses alliés. Quelques exemples, en vrac : un retrait des États-Unis de l’OTAN, voire des Nations Unies, l’effondrement du dollar, des ruptures majeures dans le commerce international, des rébellions civiles contre des pouvoirs publics qui ne protègent plus leurs citoyens, etc.

Stefan Zweig voyait les hommes comme des machines à oublier. Mais l’avenir n’appartient ni aux resquilleurs de responsabilités ni aux tièdes. Il est aux femmes et aux hommes de caractère, ceux que de Gaulle qualifiait de « vertu des temps difficiles ». Ces individus devront s’exposer, prendre des risques personnels. Car dans les crises et les moments de perdition, ceux qui s’enferment dans des schémas de pensée répétitifs ou soumis sont relégués par l’Histoire. Les esprits dociles, bercés par des consensus flous et paralysés par les peurs collectives, ne façonnent ni les ruptures ni le progrès.

Nous assistons à la fin d’un modèle, à un choc de civilisations, à une brisure. Notre confort, en partie illusoire, s’effrite. Les années à venir exigeront une volonté inflexible et, surtout, du caractère chez les citoyens capables d’appréhender avec lucidité l’évolution du monde vers une cascade de fractures. C’est maintenant que les démocrates doivent se réveiller, s’unir, et faire entendre leur voix. L’impression générale sur l’avenir est sombre, d’autant plus que nous ployons sous les dettes accumulées par soixante ans de consumérisme effréné et d’individualisme débridé. Isolés, les événements semblent anodins. Pris dans leur ensemble, ils révèlent une tout autre ampleur.

Plaçons donc l’année 2025 sous le signe d’un impératif : l’éveil de l’intelligence et la quête de vérité, loin de se laisser emporter par les vagues d’émotions.

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