Microsoft. Nvidia. Deux noms. Deux mastodontes. Ces entreprises valent aujourd’hui plus de 4.000 milliards de dollars chacune. Quatre mille milliards. C’est plus que ce que produit un pays comme la France en une année. Vous avez bien lu : une société privée qui pèse plus qu’un pays appartenant au G20.
Et voilà que Bill McDermott, patron de ServiceNow, en rajoute une couche auprès de mes confrères du Financial Times. Selon lui, nous entrons dans l’ère des entreprises à… dix mille milliards de dollars. Dix mille milliards ! Un chiffre qui fait tourner la tête. Mais attention : s’il le dit, c’est aussi parce qu’il y a intérêt. Son entreprise grandit, mais son action en Bourse recule. Les investisseurs doutent. Alors il sort le gros chiffre. Il vend l’avenir pour cacher le présent. Quand ça coince aujourd’hui, on promet demain.
Est-ce que ce cap est crédible ? Oui. Parce que l’intelligence artificielle change déjà tout. Nvidia fabrique presque toutes les puces qui font tourner l’IA. Microsoft ajoute Copilot dans ses logiciels, utilisés par des centaines de millions de personnes. Google reste la porte d’entrée du numérique. Et surtout, il y a ce mécanisme simple : plus il y a de monde sur une plateforme, plus elle devient utile… et plus elle attire encore de monde. C’est l’effet boule de neige. C’est ce qu’on appelle les effets de réseau. C’est exactement ce qui a fait exploser Facebook : si nos amis y sont, nous devons y être aussi. Et ça, ça grossit vite. Très vite. Les dix mille milliards n’ont donc rien d’impossible.
On régule, mais on ne contrôle rien
Mais qu’est-ce que ça veut dire pour nous, ici en Europe ? Ça veut dire qu’on régule, mais qu’on ne contrôle rien. L’Europe a voté une grande loi, l’AI Act, pour encadrer l’IA. Mais elle n’a pas de géants comparables. Résultat : l’Europe écrit des règles, mais elle dépend des technologies américaines. Elle se rassure avec des textes, pendant que les États-Unis fabriquent les outils.
Et les PME ? Elles n’auront pas le choix. Elles devront acheter les services des géants. Comme on achète l’électricité. Mais avec une différence : ce ne sont pas des kilowatts, ce sont nos données, nos clients, nos marges. Le défi pour une PME, ce sera d’utiliser ces outils sans devenir prisonnière. Pas simple. Mais c’est aussi une opportunité pour des entreprises belges comme NRB qui vendent du cloud souverain.
Toutes les tâches répétitives sont dans la ligne de mire
Et nous, les individus ? On nous promet la fin des tâches ennuyeuses. Mais dans la réalité, les gains de productivité vont d’abord ailleurs. Aux actionnaires, qui voient leurs bénéfices grimper. Aux travailleurs très qualifiés, rares et précieux, qui savent concevoir et superviser l’IA. Eux, ils gagnent. Mais pour les emplois intermédiaires, c’est une autre histoire. Toutes les tâches répétitives sont dans la ligne de mire : trier, saisir, répondre à des questions simples. L’IA le fait plus vite, moins cher. Résultat : ces emplois disparaissent au fil de l’eau.
Et voilà le vrai risque : une société à deux vitesses. D’un côté, une élite qui conçoit et pilote les systèmes, avec de bons salaires et du pouvoir. De l’autre, une majorité qui exécute sous la tutelle des algorithmes. Moins d’autonomie. Moins de perspectives. C’est ça qui nous attend si rien ne change.
Alors, la vraie question n’est pas de savoir si une entreprise va atteindre dix mille milliards. La vraie question, c’est celle-ci : on a toujours cru que seuls les États pouvaient faire et défaire l’Histoire. Demain, ce seront peut-être des entreprises privées de dix mille milliards. À nous de décider si nous voulons être gouvernés par des parlements… ou par des tableaux Excel.