Kris Peeters

Un avenir européen fondé sur le capital-risque

Kris Peeters Vice-président de la Banque européenne d’investissement

La recherche et l’innovation sont essentielles à notre future compétitivité économique et à la transition vers une économie verte. Pourtant, l’Europe continue d’investir moins que d’autres régions économiques avancées dans ces domaines et risque de continuer à perdre du terrain. Pour progresser vers un avenir plus vert, plus sûr et plus autonome, nous devons créer un environnement propice à une innovation féconde.

Les dépenses consacrées à la recherche-développement constituent un indicateur clé de l’activité d’innovation. L’Union européenne (UE) s’est fixée pour objectif de consacrer 3 % du PIB à la recherche-développement, dont 2 % à l’initiative du secteur privé. Le dernier rapport sur l’investissement de la Banque européenne d’investissement, qui sera publié le 28 février, montre que si le Japon et les États-Unis ont déjà dépassé cet objectif, les dépenses de recherche-développement dans l’UE représentent moins de 2,5 % du PIB, dont un peu plus de 1,5 % provenant des entreprises.

Le problème est toutefois plus profond.

Près de 60 % des entreprises de l’UE déclarent ne se livrer à aucune forme d’innovation, chiffre bien plus élevé qu’aux États-Unis, où il est inférieur à 40 %.

Les entreprises européennes sont également beaucoup plus lentes que leurs concurrentes américaines lorsqu’il y va d’adopter de nouvelles technologies ou des innovations de marché, ce qui est l’une des principales raisons à l’origine de l’écart d’innovation entre les États-Unis et l’Union européenne.

L’Europe se classe toujours en tête dans le domaine de l’innovation verte, mais les entreprises américaines et chinoises rattrapent leur retard. Dans le même temps, l’Europe est toujours devancée par les États-Unis en matière de brevets numériques. En outre, la loi américaine sur la réduction de l’inflation, qui devrait débloquer près de 369 milliards de dollars pour des projets liés à l’énergie et à l’action climatique, pourrait donner un énorme coup de fouet au secteur de l’innovation verte du pays.

L’innovation ne concerne pas que l’avenir, c’est aussi une question d’actualité. On ne saurait trop insister sur son importance en raison du rôle central qu’elle joue pour la résilience économique. Nos travaux de recherche montrent que les entreprises innovantes ont bien mieux résister au ralentissement économique provoqué par la pandémie. Sans surprise, les entreprises innovantes étaient plus susceptibles d’avoir enregistré une hausse de leur chiffre d’affaires entre 2019 et 2022.

L’Europe a besoin de toute urgence de politiques de soutien à l’innovation

Le renforcement de l’innovation en Europe aiderait l’économie à mieux faire face aux crises, mais il s’agit aussi d’une condition indispensable si nous voulons survire à la crise climatique. En effet, une grande partie de la technologie nécessaire pour atteindre nos objectifs n’est pas encore commercialisée, ni même inventée. Il s’agit d’un véritable problème en Belgique, où, selon notre enquête sur l’investissement, plus de la moitié des entreprises (53 %) signalent que les événements météorologiques – tels que les inondations massives de 2021 – ont un impact sur leur activité. Pourtant, seul un quart d’entre elles investit dans des solutions pour prévenir ou réduire leur exposition à de tels risques.

L’Europe a besoin de toute urgence de politiques de soutien à l’innovation, y compris d’un appui financier accru aux jeunes pousses et aux innovateurs couronnés de succès qui cherchent à se développer. Au cours de la dernière décennie, l’Europe s’est dotée de jeunes pousses qui ont enregistré une croissance rapide et qui, pour certaines, sont devenues des acteurs d’envergure mondiale, dont plus de 70 licornes, créant au passage plus de deux millions d’emplois. Entre 2010 et 2020, les investissements dans les jeunes pousses européennes ont été multipliés par six, pour atteindre environ 40 milliards d’euros.

En 2022, le Groupe Banque européenne d’investissement a investi près de 2,7 milliards d’euros en Belgique, dont 335 millions que le Fonds européen d’investissement, notre filiale spécialisée dans le financement des PME et les apports de fonds propres, a consacrés aux petites entreprises.

Parmi les entreprises belges innovantes qui ont bénéficié de ces fonds, citons ExeVir, une entreprise spécialisée dans les biotechnologies qui s’attache à mettre au point un traitement contre le COVID-19 à partir de nano-anticorps dérivés du lama. Elle s’est vu octroyer un prêt d’amorçage-investissement de 25 millions d’euros.

Par ailleurs, le groupe belge PUNCH a bénéficié d’un prêt de 40 millions d’euros pour l’aider à développer ses technologies de propulsion électrique et à l’hydrogène ainsi que ses systèmes de stockage d’énergie connexes dans ses installations en Italie et en France.

Pour inverser la tendance, cependant, il nous faudra beaucoup mieux accompagner les jeunes entreprises qui pourraient devenir des leaders sectoriels de demain. Trop de jeunes pousses européennes prometteuses peinent à lever les capitaux dont elles ont besoin pour croître et parvenir à maturité. Elles sont contraintes soit de partir à l’étranger, attirées par les possibilités que leur offrent les vastes marchés de capitaux des États-Unis, soit de se vendre à de plus grands rivaux aux poches plus pleines. En 2020, dans près d’un quart de toutes les opérations de capital-risque conclues en Europe figurait au moins un investisseur américain ou asiatique. Les investisseurs européens représentaient une petite minorité des ressources levées dans la plupart des opérations, en particulier des plus grandes.

L’une des raisons en est simplement qu’il existe beaucoup moins de fonds de capital-risque en Europe qu’aux États-Unis et encore moins de taille suffisante pour présider à l’expansion des entreprises les plus prospères. Le nombre de fonds de capital-risque disposant de 200 à 500 millions d’euros à investir est trois fois plus important aux États-Unis qu’en Europe. Dans la catégorie allant de 500 millions d’euros à plus d’un milliard d’euros, ils sont six à huit fois plus nombreux.

Le lancement de l’initiative Champions technologiques européens (ICTE), un fonds de fonds géré par le Fonds européen d’investissement dans lequel l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Banque européenne d’investissement ont engagé 3,75 milliards d’euros, a vocation à résoudre ce problème. L’ICTE aidera les fonds européens de capital-risque spécialisés dans les dernières phases de croissance à prendre du volume. Ils pourront ainsi acheminer des capitaux d’expansion indispensables vers des innovateurs européens prometteurs.

Les prêts d’amorçage-investissement, dont la Banque européenne d’investissement est l’un des principaux pourvoyeurs en Europe, demeureront un outil important pour le financement de l’innovation, en particulier dans les phases de croissance et d’expansion des entreprises. Il s’agit d’un produit financier sans équivalent qui vient en complément des investissements en capital-risque standard en permettant aux entreprises de porter leurs activités à l’échelle supérieure sans diluer les participations des fondateurs et des premiers investisseurs. Les bénéficiaires des prêts d’amorçage-investissement déclarent en moyenne un actif total plus élevé et ont plus de facilité à trouver de nouveaux investisseurs durant les cycles de financement ultérieurs.

Notre avenir dépendra en partie de notre capacité à innover et à soutenir la commercialisation et le déploiement à grande échelle des innovations. Consacrons-y davantage de ressources dès aujourd’hui.

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