Michel Maus, Ayfer Aydogan et Hilde Vanthuyne, co-auteurs d’un ouvrage sur ce sujet, expliquent clairement que la responsabilité d’un “héritage sans conflit” ne repose pas uniquement sur le législateur, mais également sur les futurs testateurs et les héritiers.
“ Évitez d’hériter de conflits en même temps que de l’argent de votre famille”, nous recommande vivement Hilde Vanthuyne. Elle fait partie des médiateurs agréés de notre pays, lesquels jouent un rôle de plus en plus fréquent dans la résolution de litiges successoraux. Depuis 2018, le juge peut imposer une médiation, mais les familles peuvent prévenir ou désamorcer des conflits en prenant elles-mêmes l’initiative d’aller vers la médiation.
Dans l’ouvrage De laatste wil (paru en néerlandais) co-écrit avec les avocats Michel Maus et Ayfer Aydogan, la médiation occupe une place prépondérante. Les deux avocats reconnaissent avec franchise les insuffisances de “l’avocat” dans la résolution des querelles successorales. “Le législateur a prescrit la manière dont les successions doivent être réglées. Mais cela ne décharge pas le citoyen de toute responsabilité. Nous avons la possibilité, voire l’obligation, de mettre en œuvre ce droit successoral”, estime Ayfer Aydogan, du cabinet ECGB Advocaten.
Il arrive fréquemment qu’aucune planification successorale ne soit réalisée, surtout dans les familles disposant d’un patrimoine limité. Dans bon nombre de familles, il n’est d’ailleurs toujours pas permis d’aborder la question de l’argent. Surtout au sein des générations plus âgées, ce sujet demeure tabou.
“Si rien n’est entrepris, au décès des parents, tous les enfants se retrouvent sur un pied d’égalité, expose Ayfer Aydogan. Cela peut, par exemple, devenir une source de frustration pour un enfant qui s’est occupé des parents pendant des années, alors que les autres ne s’en préoccupaient pas. Les parents auraient pu anticiper cela, mais l’enfant aurait aussi pu soulever le problème. C’est délicat, mais après coup, on regrette de ne pas avoir essayé d’en parler.”
Le juge ne peut pas tout résoudre
Les frustrations engendrent des conflits. “Aujourd’hui, la médiation figure au programme des études de droit, ce n’était pas le cas à mon époque, se souvient Michel Maus, avocat chez Bloom Law et professeur de droit fiscal à la VUB. Il existe une génération d’avocats qui ne connaissent pas bien la médiation ou qui ne veulent simplement pas en entendre parler. Certains confrères estiment que l’avocat doit combattre, plaider. L’intervention d’un avocat n’est toutefois pas toujours favorable à la résolution d’un conflit. Parfois, c’est même l’inverse.”
Les avocats n’ont pas non plus d’intérêt personnel à rechercher des solutions amiables, mais Me Aydogan ne considère pas cela comme une excuse. “C’est notre devoir de rechercher la conciliation.” Me Maus relève également que personne ne sort gagnant d’un procès. “Un conflit est juridiquement clos par le jugement du tribunal, mais pas sur le plan émotionnel. Une telle décision judiciaire peut même conduire à une escalade. Un procès est toujours, émotionnellement, une histoire négative. Voilà pourquoi je suis un grand partisan de la médiation.”
Des conflits successoraux prolongés peuvent avoir de lourdes conséquences. Pensez au cas de la faillite du constructeur d’autobus Van Hool. Le tribunal avait jugé, dans les années 1990, que les sœurs Van Hool n’avaient pas reçu leur part héréditaire légitime. Les différentes branches de la famille devaient alors encore s’accorder sur une redistribution effective. L’échec de cet accord a paralysé l’entreprise et a, en fin de compte, mené à sa disparition.
Émotions sous-jacentes
“Autrefois, les garçons poursuivaient des études et les filles restaient à la maison, ajoute Hilde Vanthuyne. Les fils reprenaient l’entreprise familiale. Les filles étaient écartées de la gestion. Cela conduisait parfois à des frustrations. Si ces émotions sous-jacentes ne sont pas traitées, elles se transmettent aux enfants. Ceux-ci ne comprennent même pas toujours d’où cela provient, mais la méfiance à l’égard de l’autre partie s’installe. En revenant à l’origine, on peut donner aux filles ou à leurs descendants la possibilité d’une reconnaissance. Il est incroyable de voir ce que peut produire une reconnaissance dans ce genre d’histoire. Une reconnaissance suffisante peut permettre aux gens de parvenir à un règlement raisonnable pour les générations suivantes.”
En témoigne ce cas pratique, où les enfants d’une famille très fortunée se disputent au sujet “du bateau”. Il s’avère qu’il ne s’agit pas d’un voilier amarré à Cannes, mais d’un bricolage posé sur la cheminée, fabriqué par le père à la naissance du fils. Là aussi, le fils avait été favorisé pour reprendre l’entreprise familiale. Les sœurs projetaient leur désir de compensation sur un objet chargé d’émotion, mais sans valeur financière. Le partage de la succession finit par aboutir, mais seulement après que les sœurs eurent reçu reconnaissance pour les soins prodigués à leur mère et que le frère ait donné davantage d’informations sur les finances. Le bateau perdit, grâce à la médiation, toute sa charge symbolique.
Le bon moment
Quand faut-il commencer à travailler à une planification successorale ? “Lorsqu’un sexagénaire fait une donation, c’est souvent de sa propre initiative. Lorsqu’un octogénaire fait une donation, c’est généralement à l’instigation des enfants ou des petits-enfants. C’est un peu mon expérience, estime Michel Maus. Il semble parfois que l’impôt successoral soit une bombe à retardement émotionnelle dans les familles. Si la discussion est déclenchée par le fait que davantage de droits de succession devront être payés si rien n’est prévu, alors, dans certaines familles, c’est la boîte de Pandore qui s’ouvre.”
“Il semble parfois que l’impôt successoral soit une bombe à retardement émotionnelle dans les familles.” – Michel Maus, avocat chez Bloom Law et professeur à la VUB
Ayfer Aydogan constate aussi que les personnes ont plus de difficultés à se dessaisir de biens dès qu’elles ont atteint un certain âge. “On pourrait penser qu’il va de soi que l’on doit, en tant qu’octogénaire, davantage s’occuper de planification successorale qu’en tant que sexagénaire. Mais ce n’est pas le cas. Mon estimation est que, pour des personnes d’un âge très avancé, cela est trop pénible de s’en occuper.”
Pour ceux qui sentent leur fin approcher, une donation s’apparente à un adieu à la vie. “Si l’on agit plus jeune, la pression est beaucoup moins forte, estime Hilde Vanthuyne. Un autre point de vue est bien sûr : à quel moment vos enfants peuvent-ils avoir besoin d’une donation ? S’ils ont déjà 70 ans, ils n’en ont généralement plus besoin. En donnant plus tôt, on peut améliorer la prospérité familiale.”
Conserver le contrôle
Parfois, les gens ne veulent pas encore aliéner leur patrimoine, mais le font quand même parce qu’ils sentent le souffle de l’impôt successoral dans leur nuque. Alors entrent en jeu des techniques visant à conserver le contrôle et/ou l’usufruit. L’administration fiscale flamande regarde parfois avec suspicion des techniques qui restent encore bien établies à Bruxelles ou en Wallonie.
“En tant que conseiller, il faut bien sonder quelle est l’intention. Y a-t-il une préoccupation financière pour subvenir à ses besoins ? Alors, il suffit, par exemple, de laisser une partie des dividendes ou des intérêts d’un portefeuille d’investissement revenir aux parents. Ou bien les parents veulent-ils effectivement conserver le pouvoir de décision et prendre toutes les décisions importantes ?”, explique Ayfer Aydogan.
Michel Maus comme Ayfer Aydogan rencontrent souvent dans la pratique des donations sans conditions. “Par exemple pour l’acquisition d’un logement. Les parents veulent que leur enfant puisse acquérir une maison pour y vivre. Ils trouvent cela important et sont heureux de donner un coup de pouce à cet effet”, précise Ayfer Aydogan.
À l’autre extrémité du spectre se situe “la société de droit commun”, une forme sociétaire populaire en planification successorale. “Les enfants reçoivent alors la nue-propriété des parts dans la société de droit commun, mais n’ont absolument aucun droit de regard. Le droit de vote reste entre les mains de l’usufruitier. Cela conduit à du ressentiment et à des discussions, note Me Maus. C’est une solution pour éviter des impôts supplémentaires, mais cela ouvre la porte à des conflits.”
“Pour éviter que les enfants n’aient l’impression de recevoir une coquille vide, les parents peuvent, selon leurs besoins propres, soit leur laisser jouir des fruits, soit les associer à la gestion de la société de droit commun, poursuit Ayfer Aydogan. C’est cela, l’essence de la planification successorale : quels sont les besoins, les souhaits, les préoccupations et les interdits, et pourquoi ? Cela mérite un peu plus d’attention.”
Donation et divorce
Les parents aiment aussi insérer des clauses dans un acte de donation pour éviter que leur argent n’aille à la belle-famille. Chez les enfants, cela passe parfois mal. Ils pensent que les parents sont opposés à leur relation ou qu’ils ont peu confiance dans la stabilité du couple. “Donner, c’est donner, mais les parents aiment voir leur argent utilisé d’une manière qu’ils approuvent, explique Hilde Vanthuyne. The money remembers, dit-on en anglais. Faire une donation implique toujours une signification, un jugement, une position ou une émotion.”
“Faire une donation implique toujours une signification, un jugement, une position ou une émotion.” – Hilde Vanthuyne, médiatrice agréée
Dans un mariage sous le régime légal, avec communauté de biens, mais aussi dans un mariage sous séparation de biens, une donation ou une succession à l’un des deux conjoints ne devient pas automatiquement commune. Mais un enfant peut, à un certain moment, décider volontairement de rendre la donation ou la succession commune. Et aussi, de manière involontaire, l’argent peut être mélangé, s’il n’est pas conservé sur un compte séparé et que les traces des fonds sont effacées.
“Je ne peux quasiment pas imaginer un divorce où les donations ne refont pas surface, déclare Hilde Vanthuyne. Un conjoint est persuadé que la donation ne lui était destinée qu’à lui ou elle. L’autre pense qu’il s’agissait d’une donation à tous les deux, parce que l’argent a été versé sur un compte commun. Je me demande toujours pourquoi cela n’a pas été mieux défini au moment de la donation. Il n’existe souvent aucune preuve de l’intention au moment de la donation.
Cela durcit le conflit dans le couple ou entre ex-conjoints, parce qu’une interprétation est donnée aux faits qui n’est pas toujours correcte.” Hilde Vanthuyne tente alors d’impliquer les parents dans la médiation, lorsque c’est possible. Afin qu’ils puissent clarifier leurs intentions au moment de la donation. “De très beaux échanges en ressortent souvent, mais il aurait évidemment mieux valu préciser l’esprit de la donation au moment de l’acte.”
Enfants et petits-enfants “par alliance”
La législation ne suit pas le rythme des changements sociétaux. “Il y a, par exemple, de plus en plus de couples qui ne cohabitent pas et qui ne sont pas mariés”, explique Ayfer Aydogan. Des personnes en relation à distance ou des familles recomposées où les enfants ne s’entendent pas avec le nouveau partenaire. “Pour le droit successoral, de tels partenaires sont des étrangers l’un pour l’autre.
L’incompréhension grandit quant à la condition que les personnes doivent partager un ménage ou effectivement un logement. Pourquoi est-ce précisément le critère ?”
“Il y a de plus en plus de couples qui ne cohabitent pas ou ne sont pas mariés. Pour le droit successoral, ce sont des étrangers l’un pour l’autre.” – Ayfer Aydogan, avocate chez ECGB Advocaten
Michel Maus observe aussi que les grands-parents ne veulent pas toujours faire de distinction entre petits-enfants biologiques et beaux-petits-enfants. “Fiscalement, une distinction existe pourtant.” Pour les enfants par alliance, il est possible, sous certaines conditions, de bénéficier des mêmes taux en droits de succession et en droits de donation que les enfants biologiques. Pour les petits-enfants par alliance, ce n’est pas le cas. Ils paient le tarif fiscal le plus élevé, comme s’ils héritaient d’étrangers, si les grands-parents les mentionnent dans leur testament.
L’héritage empoisonné
Un certain nombre de “pièges” peuvent coûter très cher aux héritiers. Les enfants qui se sont éloignés de leurs parents ou qui n’ont jamais pu parler d’argent courent différents risques en acceptant une succession. “Il y a d’une part le risque de dettes, avertit Michel Maus. On peut couvrir largement ce risque en acceptant l’héritage sous bénéfice d’inventaire.” Le notaire doit alors publier un appel aux créanciers au Moniteur belge et dresser un inventaire. Cette procédure coûte quelques milliers d’euros et n’offre aucune protection contre le fisc en tant que créancier.“Il y a aussi le risque d’un patrimoine disparu, poursuit Michel Maus. Nous avons actuellement deux dossiers en cours au cabinet où il ressort d’écrits qu’il existe un certain patrimoine, mais celui-ci est introuvable. Les héritiers se retrouvent le bec dans l’eau, car ils devront payer des droits de succession sur de l’argent qu’ils n’ont jamais touché.” Ayfer Aydogan : “Hériter n’équivaut pas toujours à gagner le gros lot. Si vous n’avez plus eu de contact depuis 30 ans avec une personne, pourquoi accepteriez-vous son héritage ? Vous ne savez pas ce que cette personne a pu faire.”
Hilde Vanthuyne ajoute qu’une succession comprend parfois aussi des objets familiaux, ou la maison parentale, que les héritiers souhaiteraient conserver et qui n’appartenaient pas uniquement au défunt. Michel Maus estime qu’il s’agit “d’un problème juridique” que l’on ne puisse pas accepter seulement une partie d’un héritage. En théorie, le simple fait d’accepter des photos de famille peut déjà être considéré comme un acte d’acceptation de la succession, vous rendant alors responsable des éventuelles dettes.
Il existe aussi d’autres raisons de refuser une succession que la crainte des dettes. Les successions dont la valeur est estimée par le notaire à moins de 6.093,20 euros peuvent être refusées gratuitement. Pour les successions plus importantes, un refus coûte quelques centaines d’euros. Depuis 2017, les héritiers ne doivent plus passer par le tribunal, ce qui a rendu le refus beaucoup plus simple.
Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.