Qui sont exactement les entreprises zombies?
Elles attisent tant les craintes des économistes que des investisseurs. Elles sont de plus en plus nombreuses sur les marchés.
Le terme d’entreprises zombies a été popularisé dans les années 1990 au Japon. L’explosion de la bulle immobilière et financière avait laissé transparaître les fragilités de quantité d’entreprises qui ne (sur)vivaient que grâce à des injections permanentes de capitaux. Globalement, on traite une société de zombie quand son activité ne génère pas assez de profits pour simplement payer les intérêts dus sur la dette. Exemple type actuel de ces entreprises : la collection d’industries chinoises dépassées maintenues à flot par l’explosion du crédit et de la finance de l’ombre depuis 10 ans. Mais le phénomène est bien plus large.
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Indices contaminés
Selon une étude de la Banque des règlements internationaux (BRI), la part des ” zombies ” atteignait 12% en 2016 parmi les entreprises cotées des 14 principales économies avancées de la planète – dont la Belgique. Six fois plus qu’à la fin des années 1980… Un problème qui, depuis, a même légèrement continué de s’amplifier selon Bank of America ML. Fin 2018, les analystes américains recensaient 13% de zombies parmi les entreprises cotées dans les économies avancées.
Selon la BRI, cette ” zombification ” des entreprises est à mettre en lien avec la fragilité de certaines banques, qui préfèrent octroyer de nouveaux crédits pour maintenir l’entreprise en vie plutôt que d’acter une perte, et avec la baisse des taux d’intérêt qui rend les financements plus faciles pour les entreprises en difficulté.
Les grandes entreprises cotées sont loin d’être immunisées. Le bureau Bianco Research a ainsi calculé que près de 14% des entreprises du S&P 1.500, rassemblant les 1.500 principales capitalisations aux Etats-Unis, ne dégageaient pas assez de profits opérationnels pour honorer le service de leur dette. Et en Europe, Bank of America ML estime que près d’une entreprise sur 10 est zombie au sein du prestigieux Stoxx 600.
Cette ” zombification ” du tissu d’entreprises est d’autant plus préoccupante qu’elle intervient en période de croissance économique. Classiquement, le nombre d’entreprises zombies augmente plutôt quand l’économie tourne moins bien et que les profits se raréfient, et diminue en période de haute conjoncture.
Selon la BRI, cela n’est pas sans conséquence. Les entreprises zombies accaparent des ressources (financements, main-d’oeuvre, etc.) et empêchent le développement de nouvelles sociétés plus dynamiques, ce qui pèse in fine sur le potentiel de croissance.
“Se baigner nu”
L’investisseur doit-il s’en inquiéter ? Il y a un an les spécialistes de BlackRock se voulaient rassurants, épinglant que l’accélération de l’économie devrait soutenir les résultats et permettre aux zombies de ” sortir par le haut “. Ce scénario favorable est désormais remis en cause par le ralentissement de l’économie mondiale. Si ce ralentissment s’accentue et dérive en récession, la célèbre citation de Warren Buffett pourrait à nouveau se concrétiser : ” c’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus “.
Il serait toutefois erroné de croire que vous ne craignez pas grand-chose sans récession. L’aspect sectoriel peut également jouer un rôle primordial. Aux Etats-Unis, Toys R Us, ex-première chaîne mondiale de magasins de jouets, a dû déposer, ses créanciers ayant fini par fermer le robinet. Quelques mois plus tard, c’était au tour de Sears, ancien numéro 1 mondial de la grande distribution. Et l’Europe a également récemment connu une faillite retentissante avec Thomas Cook, premier zombie de renom à tomber à court de liquidités.
Dans de telles situations, les pertes sont extrêmement lourdes pour les investisseurs. Les actionnaires perdent tout ou à peu près tandis que les détenteurs d’obligations ne récupèrent généralement qu’une fraction de la valeur faciale du titre.
Tesla et Netflix ?
D’autres entreprises suivront-elles ? C’est à craindre. La situation de Tesla est régulièrement épinglée : le fabricant de voitures électriques reste déficitaire alors qu’il affiche une dette nette de plus de 9 milliards de dollars. Au vu de la valeur boursière du groupe et des investissements des constructeurs automobiles traditionnels dans l’électrique, on peut toutefois s’attendre à ce que le groupe américain trouve une solution (prise de participation, rachat, partenariat) en cas de difficultés.
On pourrait tirer la même conclusion pour d’autres grands noms technologiques comme Netflix ou Uber. Cela ne garantit évidemment pas que le cours ne baissera pas, mais l’intérêt de concurrents aux poches pleines -pensons à Alphabet ou Apple- leur offre une porte de secours.
On l’a compris, les entreprises zombies les plus fragiles sont surtout celles qui évoluent dans des secteurs en difficulté où peu de concurrents ou acteurs extérieurs seraient susceptibles d’investir lourdement. Aux Etats-Unis, c’est ainsi le secteur de la distribution qui est pointé comme un de plus fragiles en raison du succès du commerce en ligne. Récemment, la société d’analyse CreditRiskMonitor a sorti sa liste de distributeurs risquant de déposer le bilan. Elle compte désormais 28 noms dont quelques enseignes célèbres outre-Atlantique comme J. Crew, Rite Aid, JC Penney, Pier 1 ou Chewy.
Selon une étude de Factor Research, c’est pourtant le secteur des soins de santé qui compte de loin le plus d’entreprises zombies. Une réalité qui s’explique par les nombreuses entreprises biotechnologiques en phase de développement. N’ayant pas ou peu de revenus, elles subissent de lourdes pertes.
A noter que la légion de zombies sur les Bourses américaines compte aussi quelques noms connus comme Naspers, Pinterest, Dell Technologies (acculé par une dette de plus de 50 milliards de dollars) ou le géant du câble Liberty Global, également très présent en Europe.
ArcelorMittal demain ?
L’Europe, justement. Sur notre continent, ce sont les entreprises des pays périphériques qui demeurent les plus fragiles, explique Barnaby Martin, de Bank of America ML. Surtout dans les secteurs de l’énergie et des services aux collectivités. On peut y ajouter toutes les sociétés sensibles à la conjoncture et supportant une lourde dette. Comme c’est le cas d’ArcelorMittal, par exemple, qui n’était pas zombie en 2018 mais risque de le (re)devenir en 2019 si le déclin des prix de l’acier continue de déprimer ses résultats.
Parmi les grands noms, on retrouve aussi la première société ” internet ” européenne Prosus – une spin-off de Naspers -, le géant espagnol des concessions Ferrovial, l’allemand RWE ou le motoriste britannique Rolls-Royce, selon les chiffres des 12 derniers mois.
En Belgique, outre les biotechs et les immobilières à la comptabilité plus particulière, Nyrstar, IBA, Euronav, Greenyard, Hamon et Exmar affichent notamment un profit opérationnel inférieur aux intérêts payés sur 12 mois. Trois de ces six sociétés ont d’ailleurs dû être recapitalisées récemment : Nyrstar, Greenyard et Hamon. Mais avant que l’investisseur n’en tire d’éventuelles conclusions, il reste évidemment indispensable qu’il vérifie l’origine de cette situation, le niveau de la dette et les perspectives d’évolution à brève échéance.
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