Que font les banques avec votre argent ?
Fairfin, l’ASBL dont l’objectif est d’informer les gens sur la gestion durable de l’argent, a présenté jeudi dernier son De staat van de banken 2017 (La situation des banques). Il ressort de ce rapport, qui se centre notamment sur la politique d’investissement des banques belges, que seules Triodos Bank et dans une moindre mesure Van Lanschot et VDK Bank réussissent le test de la durabilité.
Dans son dernier rapport, l’ASBL Fairfin examine le fonctionnement de 18 banques belges. Le focus est mis sur la durabilité de leur politique d’investissement, leur contribution à l’économie réelle et les risques qu’elles prennent avec l’argent des épargnants.
Carburants fossiles, industrie minière et armes
Pour générer les rendements nécessaires pour les épargnants et pour elles-mêmes, les banques font des investissements qu’elles espèrent rentables, que ce soit à terme ou pas. Cela se fait notamment par l’octroi de crédits aux entreprises ou en investissant elles-mêmes dans des actions ou des obligations.
Fairfin a étudié dans quelle mesure les banques, dans notre pays, tiennent compte de thèmes comme les droits humains, le droit du travail, le climat et le commerce des armes dans leur quête pour des investissements rentables.
Le rapport de Fairfin ne dresse pas précisément un tableau teinté de rose. Alors que Triodos Bank, Van Lanschot et VDK Bank présentent la politique d’investissement la plus durable, dans pas mal de banques, la transition vers un fonctionnement responsable reste en général limitée à de bonnes résolutions.
L’étude de Fairfin montre ainsi que BNP Paribas, ING et KBC ont, entre 2014 et 2016, injecté ensemble des dizaines de milliards d’euros dans le secteur des carburants fossiles. Les investissements des banques belges dans le secteur de l’industrie minière sont aussi un souci pour l’ASBL. Dans son rapport, Fairfin fait notamment référence à une étude publiée au début de cette année.
Entre 2013 et 2016, le fabricant d’armes italien Leonardo a été financé par Belfius, BNP Paribas, Deutsche Bank et KBC à hauteur de millions d’euros
Il en ressort qu’entre 2011 et 2016, BNP Paribas (4.505,3 millions d’euros), Deutsche Bank (2.684,8 millions d’euros), ING (2.084,2 millions d’euros) et KBC (638,9 millions d’euros) ont investi massivement dans l’entreprise minière controversée Glencore, souvent associée à des violations des droits humains, au travail forcé, à la main-d’oeuvre infantile, à la pollution des eaux et à l’évitement de l’impôt.
Pour finir, Fairfin mentionne aussi des études qui révèlent les liens entre plusieurs banques belges et le commerce des armes (nucléaires). Ainsi, le fabricant d’armes Leonardo, qui vend des équipements militaires à des pays réputés pour leurs violations des droits humains, a été financé, selon l’ASBL, par Belfius, BNP Paribas, Deutsche Bank et KBC, à hauteur de millions d’euros entre 2013 et 2016.
Les activités de nos banques sont donc loin d’être belles. Sébastien Mortier, chercheur chez Fairfin, considère dès lors qu’il est encore trop peu question d’un vrai système financier durable en Belgique. “Pour un grand groupe de banques, une politique d’investissement durable fait totalement défaut. Et dans les banques qui enregistrent effectivement du progrès sur ce plan, la transition se déroule lentement et difficilement.”
Pour un grand groupe de banques, une politique d’investissement durable fait totalement défaut.
“En outre, la plupart des banques sont peu conséquentes”, selon Mortier. “BNP Paribas offre par exemple des produits d’investissement durables, mais la banque applique elle-même une politique d’investissement loin d’être durable. Chez ING, la situation est précisément l’inverse.”
Sébastien Mortier espère dès lors davantage d’ambition et d’efforts de la part des banques et voit un trou dans le marché au niveau des épargnes pension surtout. “L’épargne pension est, pour beaucoup de gens, la première et unique forme d’investissement. Avec VDK Bank, Belfius et Argenta, il n’y a que trois banques qui misent quelque peu, mais de manière encore bien trop limitée, dans un produit durable pour les candidats à l’épargne pension.”
Plus-value sociale
Dans son rapport, Fairfin analyse aussi dans quelle mesure les banques belges contribuent à l’économie réelle au moyen de l’octroi de crédits. Le pourcentage des actifs totaux qui consiste en des crédits à des sociétés et des particuliers a été examiné. Dans les (relativement) petites banques comme Triodos Bank, Beobank, Argenta, Crelan, Europabank, Axa, ABK et la Banque J. Van Breda, plus de 70% des actifs consistent en des crédits aux entreprises et aux particuliers. Elles ont dès lors reçu une bonne évaluation de Fairfin, contrairement aux grandes banques de notre pays.
“Dans leur quête de rentabilité, les grandes banques s’éloignent toujours plus du service de base que les banques sont censées fournir, à savoir la conversion des dépôts d’épargne en crédits qui bénéficient à la société”, souligne Sébastien Mortier. “Au lieu de cela, elles s’orientent vers les investissements, spéculatifs ou non.”
Par sa politique, une banque a la possibilité d’influencer l’orientation que prend la société
Modèle bénéficiaire sous pression
Dans les conclusions de Fairfin, il y a cependant, bien sûr, une réserve à faire. Le modèle de rentabilité des banques se trouve sous pression : la faiblesse du taux d’intérêt imposée par la BCE conduit, dans les marchés financiers, à peu de bénéfice à faire par l’octroi de crédits traditionnels, alors que les banques doivent par contre toujours payer un taux d’intérêt minimum sur les dépôts. En d’autres mots, la fonction sociale classique des banques est peu rentable.
Dans ce contexte, n’est-il pas naïf d’espérer que les banques soient sélectives dans leur politique de financement et délaissent en outre de la sorte les bénéfices à récolter grâce aux investissements ?
Bien que Sébastien Mortier reconnaisse les défis auxquels les banques sont confrontées, ceux-ci ne constituent, selon lui, pas une excuse pour ne pas mettre la durabilité à l’agenda, bien au contraire. “Tout d’abord, le rôle social d’une banque ne se limite pas à celui d’intermédiaire pour les investissements. Une banque a la possibilité, grâce à sa politique, d’influencer l’orientation que nous désirons prendre en tant que société.”
La durabilité n’est en contradiction avec la rentabilité que dans une vision à court terme.
“Deuxièmement, un investissement dans la durabilité est aussi le meilleur choix financier à long terme. Il est incompréhensible qu’il y ait des banques qui, dans le contexte climatique actuel, investissent encore dans les carburants fossiles plutôt que dans les énergies renouvelables. La même chose vaut pour le choix entre l’octroi de crédits à des sociétés fiables et des investissements dans des produits à risque. La durabilité n’est en contradiction avec la rentabilité que dans une vision à court terme.”
Changement de cap
Grâce à ses études, Fairfin parvient parfois à induire un changement de cap chez les banques : à la suite d’informations émanant d’un rapport antérieur de Fairfin, ‘Dirty Profits’, KBC a ainsi vendu toutes ses actions du fabricant d’armes Hanwha Techwin.
Mais en général, les intérêts commerciaux des investissements priment sur les considérations éthiques. “Le cas de Glencore est sur ce plan révélateur”, selon Sébastien Mortier, qui espère surtout une prise de conscience et un changement de mentalité chez les investisseurs. “Toujours plus d’investisseurs particuliers et institutionnels accordent de l’importance à la manière dont les banques utilisent leur épargne.”
“C’est dès lors l’objectif de Fairfin, notamment par le biais du Scan des banques, son outil en ligne, d’inciter le plus de personnes possibles à s’adresser à leur banque à ce sujet et à migrer si nécessaire vers une institution financière qui investit spécifiquement dans la durabilité.”
Risques
Outre la durabilité des investissements et la contribution à l’économie réelle, Fairfin creuse aussi les risques que les banques prennent. Dans cette perspective, l’ASBL a calculé pour chaque banque le rapport entre les fonds propres et le total du passif. Au plus le pourcentage est élevé, au mieux une banque est armée pour faire face à d’éventuels revers avec des moyens propres, sans que l’argent des épargnants soit mis en péril.
Les grandes banques de notre pays n’obtiennent également pas de bons scores à ce test. Avec des pourcentages autour de 5%, elles restent de loin sous la norme de 10% définie par l’ASBL. Pas mal de petites banques, comme Triodos et Van Lanschot, atteignent quant à elles cette norme.
Toutes les banques, dans notre pays, satisfont aux exigences de fonds propres imposées.
Le professeur Cynthia Van Hulle, attachée au groupe de recherches Finance de la faculté d’économie et de sciences de gestion de la KU Leuven, relativise néanmoins l’importance des fonds propres pour les banques. “Il est tout aussi important de se centrer sur leur gestion du risque et sur la manière dont les banques sont capables de résister à des circonstances de marché défavorables.”
“Les banques qui investissent à grande échelle dans des produits financiers vraiment risqués ont surtout intérêt à conserver un niveau de fonds propres élevé. Après la crise financière, la législation s’est toutefois renforcée considérablement dans ce domaine. Toutes les banques, dans notre pays, satisfont à présent aussi aux exigences de capitaux propres imposées”, selon Van Hulle.
Sébastien Mortier confirme que les banques prévoient suffisamment de fonds propres selon la règle, mais il défend l’approche de Fairfin. “La manière dont le degré de risque des actifs des banques est déterminé est sujette à de nombreuses controverses. Les banques ont en effet le droit de déclarer elles-mêmes le degré de risque de leurs crédits et de leurs investissements. La vérification de leur fonctionnement à l’aide des fonds propres n’est donc pas un luxe superflu.
Fairfin est une ASBL qui mène des recherches sur la place que la durabilité reçoit dans la politique des banques dans notre pays et un des initiateurs de Scan des banques. Avec cet outil, les gens peuvent évaluer le fonctionnement des banques au moyen d’un certain nombre de thèmes de durabilité. Pour ‘De Staat van de Banken 2017’, FairFin a mené une enquête sur 18 institutions financières actives en Belgique : ABK Bank, Argenta, AXA Bank, Bank J. Van Breda & Co., Belfius, Beobank, BNP Paribas, bpost bank, Crelan, Deutsche Bank, Europabank, Groupe CPH, ING, KBC, Keytrade Bank, Triodos Bank, Van Lanschot et vdk bank. Fairfin obtient ses moyens principalement de subsides publics, de dons et de revenus propres.
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