En 25 ans, le pouvoir d’achat des Belges a moins augmenté que chez nos voisins. C’est dû à plusieurs éléments, dont surtout les heures de travail prestées. L’indexation automatique rate ainsi quelque peu sa cible. Explications.
Le pouvoir d’achat, c’est une mesure de ce qu’on peut acheter dans un pays donné avec son salaire. Et force est de constater que le pouvoir d’achat des Belges ne s’est pas grandement amélioré, ces 25 dernières années. Beaucoup moins que dans les pays voisins, montre une nouvelle étude d’Eric Dor, économiste à l’IESEG School of Management à Lille.
Ce pouvoir d’achat est calculé comme suit : le revenu disponible ajusté (salaire ou autre revenu après avoir payé impôts et cotisations sociales, ou prestations sociales reçues) par habitant, divisé par l’indice des prix à la consommation. Ce qui donne, en termes techniques, le revenu disponible ajusté réel – communément appelé le pouvoir d’achat.
Seuls trois pays font pire
“Entre 1999 et 2024, le revenu disponible ajusté réel des ménages par habitant a augmenté de 21,5% en Belgique. Contre 40,3% au Luxembourg, 33,8% en France, 32,7% aux Pays-Bas et 28,9% en Allemagne“, écrit l’économiste. Mais il ne s’agit pas que des pays voisins. “Seuls trois pays de l’Union européenne ont une augmentation moyenne du pouvoir d’achat moins forte qu’en Belgique depuis 25 ans, ce sont l’Italie, la Grèce et l’Autriche.”

Revenus primaires et inflation
Mais pourquoi donc la hausse du pouvoir d’achat est-elle plus lente en Belgique qu’ailleurs ? “La moins forte hausse du pouvoir d’achat en Belgique est surtout due à une moindre progression des revenus primaires avant redistribution par les impôts et la sécurité sociale“, note Eric Dor.
Salaires, loyers que reçoivent les propriétaires, intérêts et dividendes perçus, factures des indépendants et autres catégories de revenus ont augmenté de 10,6% (en termes réels, c’est-à-dire également corrigé de l’inflation) avant impôts en Belgique, contre 32% au Luxembourg, 26,4% en France, 26,3% en Allemagne et 23% aux Pays-Bas. Seule l’Italie fait pire que la Belgique.
Par contre, l’inflation a été sensiblement la même pour tous les pays concernés.
Une indexation inefficace
Ensuite, il y a aussi des différences notables dans ces catégories de revenus primaires. Pour les salariés par exemple, il y a deux chapes de plomb. D’un côté, le salaire horaire brut réel moyen, charges sociales patronales comprises, a connu une progression plus lente qu’ailleurs. De l’autre côté, on constate aussi une hausse plus lente des heures de travail prestées par les salariés.
“Malgré l’indexation automatique en Belgique, les ménages belges ne s’en sortent pas mieux que dans nos pays voisins, au contraire. En fait, cette indexation empêche de nombreuses augmentations de salaires hors indexation“, nous explique Eric Dor. “C’est qu’à cause des hauts coûts salariaux, il y a des mécanismes pour limiter ces hausses et garantir la compétitivité de l’économie belge.” C’est la fameuse loi de 2017 qui est là pour tempérer l’indexation.
“En Belgique, il y a aussi un affaiblissement de l’augmentation de la productivité : le nombre d’heures de travail augmente moins rapidement que dans d’autres pays. Mais c’est aussi lié à notre taux d’emploi qui est très faible, comparé aux pays voisins”, ajoute l’économiste.
Indépendants et intérêts
Voilà pour les salariés. D’autres revenus primaires réels ont carrément baissé entre 1999 et 2024. C’est le cas du revenu mixte des indépendants, en termes réels toujours. Il a moins diminué en Allemagne qu’en Belgique, est resté stable au Grand-Duché et a augmenté aux Pays-Bas (+30%). Il a plus baissé en France qu’en Belgique. Les indépendants belges travaillent pourtant plus aujourd’hui qu’il y a 25 ans, contrairement aux Allemands et aux Luxembourgeois (qui travaillent moins). La hausse du temps de travail des indépendants en Belgique dépasse celle enregistrée en France et atteint presque celle des Pays-Bas. Mais leur revenu horaire moyen réel est donc en baisse.
C’est le cas aussi pour les propriétaires immobiliers, de comptes épargne, d’obligations et d’actions. En 25 ans, leur revenu brut réel a baissé de 15,7%. Au Grand-Duché, ils gagnent 60% de plus, 56% de plus en France. En Allemagne : +10%. Au Pays-Bas : +0,6%. “La cause principale est la baisse de 55,8% des revenus réels d’intérêts des ménages par habitant en Belgique entre 1999 et 2024. C’est une moins bonne performance que tous ses voisins, où la baisse a été limitée à 15,9% aux Pays Bas et 41,9% en Allemagne, mais surtout comparée à la hausse de 31,6% au Luxembourg et 144,1% en France”, écrit Eric Dor.
L’économiste explique que c’est là aussi une spécificité belge. Cet effondrement du pouvoir d’achat dégagé par les intérêts est surtout dû au pic d’inflation et à la hausse des taux d’intérêts par la BCE, entre 2022 et 2024. “Les banques belges ont beaucoup moins répercuté ces hausses sur les comptes épargne qu’à l’étranger. Et les Belges ont beaucoup d’argent sur leurs comptes épargne, l’impact est donc important”, nous détaille-t-il.

Cotisations sociales et impôts
D’un côté, il y a donc la hausse des revenus primaires qui augmente globalement moins rapidement qu’ailleurs en Europe. Mais de l’autre côté, quel est l’impact des impôts ? Là, l’économiste note une évolution assez faible. Les cotisations sociales par exemple ont peu augmenté, et surtout, moins que dans les pays voisins. Mais leur niveau de départ est déjà élevé. Les impôts payés par les ménages ont aussi moins augmenté qu’ailleurs. Là aussi, le niveau était déjà élevé.
En résumé : L’inflation en Belgique a grosso modo été la même, sur 25 ans, que dans les pays voisins. Donc, la raison est ailleurs. Si le pouvoir d’achat a moins augmenté en Belgique, c’est parce que les revenus ont moins augmenté. La raison principale est une hausse plus lente des heures prestées par les salariés, une compétitivité qui plafonne et un taux d’emploi qui reste faible. Enfin, dans cette équation, l’indexation automatique ne montre pas beaucoup d’efficacité. Puisqu’elle limite la marge de manœuvre des hausses salariales.