Peut-on se fier aux influenceurs financiers?
En quête de conseils, les nombreux jeunes ayant commencé à investir depuis le début de la pandémie se sont tournés vers les influenceurs financiers. Le manque de transparence accroît toutefois les risques de dérive.
Des Etats-Unis à la Belgique en passant par l’Inde, des millions de jeunes ont commencé à investir en Bourse depuis le début de la pandémie. Le phénomène, que d’aucuns ont considéré comme une façon de trahir l’ennui pendant le confinement, s’est inscrit dans la durée. En quête de conseils, ces jeunes investisseurs se sont naturellement tournés vers les réseaux sociaux. Comme pour les articles de mode ou culinaires, les plus écoutés sont devenus de véritables influenceurs à part entière, surnommés les finfluenceurs.
Elon Musk, qui a régulièrement tweeté sur certaines cryptomonnaies ou le cours de l’action Tesla, est parfois présenté comme le premier finfluenceur. A la fin de l’année dernière, le patron de Tesla et SpaceX a même écrit qu’il envisageait de quitter ses emplois actuels pour devenir influenceur à temps plein. Toutefois, le natif de Pretoria a une aura bien plus grande et des intérêts bien différents des finfluenceurs.
Contrairement à Elon Musk, vous ne les trouverez que peu sur Twitter. Les réseaux préférés des finfluenceurs sont ceux utilisés par la génération Z et les milléniaux, à savoir TikTok, Instagram et YouTube.
500.000 dollars par an
Les finfluenceurs comptent avant tout sur leurs posts pour développer leur nombre de suiveurs. Une communauté qui s’avère très confiante comme le montre l’exemple de Betterment relaté par l’agence Bloomberg. En 2020, Austin Hankwitz a mentionné la petite société de courtage américaine dans un post. Au cours de 24 heures qui ont suivi, Betterment a connu un boom de son activité avec 10.000 nouveaux clients. Ce qui a convaincu la société de collaborer avec le finfluenceur qui compte aujourd’hui plus d’un demi-million d’abonnés sur TikTok.
Elon Musk, qui a régulièrement tweeté sur certaines cryptomonnaies ou le cours de l’action Tesla, est parfois présenté comme le premier “finfluenceur”.
De plus en plus d’entreprises financières (courtage, gestion de patrimoine robotisée, etc.) collaborent aujourd’hui avec des finfluenceurs, surtout aux Etats-Unis où le phénomène est plus avancé. Citons notamment Wealthfront, Credit Karma, FinTron Invest, Insurify et Tastyworks.
Ces sociétés cherchent ainsi avant tout à toucher les plus jeunes et sont prêtes à mettre le prix nécessaire. Selon Brian Hanly, CEO de Bullish Studio, un post sponsorisé est vendu entre 1.000 et 20.000 dollars en fonction du réseau et de sa viralité. Austin Hankwitz a ainsi confié gagner plus de 500.000 dollars par an au total.
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Elite financière
Malgré ces enjeux importants, les grands noms de Wall Street sont étonnammment absents. La principale explication est la méfiance bien ancrée des finfluenceurs envers “l’élite financière”. Même les plus modérés, à mille lieues du trading en cryptomonnaies, ne cachent pas leur désamour à l’image de Haley Sacks, alias Mrs Dow Jones sur Instagram.
Interrogée sur la saga GameStop, elle y voyait un “moment excitant”. “C’est incroyable qu’ils se soient attaqués à l’élite financière… Nous devons perturber l’établissement financier traditionnel et faire de la place à cette nouvelle vague.”
Cependant, la saga GameStop illustre toutes les dérives des réseaux sociaux en matière d’investissements. Plébiscité notamment sur le forum WallStreetBets de Reddit, le distributeur de jeux vidéo a vu son action s’envoler de 5 dollars à plus de 400 dollars en quelques mois fin 2020-début 2021. Le titre a depuis perdu plus des trois quarts de sa valeur.
Avertissement aux Pays-Bas
Les autorités s’inquiètent aussi du phénomène. Aux Pays-Bas, l’AFM a mis en garde les investisseurs en décembre dernier. A l’issue d’une enquête sur plus de 150 finfluenceurs, elle a identifié quatre risques principaux:
- les intérêts de l’audience ne priment pas toujours ;
- peu de finfluencers sont neutres et transparents en ce qui concerne leurs intérêts et rémunérations ;
- des finfluenceurs prodiguent des conseils financiers réglementés sans disposer des autorisations pour ce faire (seules les recommandations générales et publiques sont autorisées) ;
- certains finfluenceurs recommandent des produits très risqués.
L’AFM a également constaté que “la plupart des finfluenceurs n’ont aucune formation ni expérience professionnelle pertinentes alors que leurs suiveurs les considèrent comme des experts”.
Manque de connaissances
Mais le régulateur des marchés néerlandais reconnaît aussi certains mérites aux finfluenceurs, le premier étant de rendre les investissements plus accessibles. Selon une enquête de Febelfin, un Belge sur trois rechigne à investir, faute de connaissances financières, ce qui est d’autant plus regrettable dans l’environnement de taux actuels.
Et force est de constater que les finfluenceurs parviennent bien mieux à expliquer le fonctionnement des marchés à des jeunes. Haley Sack, qui a fait des études dans le cinéma, n’avait certainement pas les bases requises par la réglementation pour donner des conseils financiers avant de fonder Finance Is Cool et de lancer Mrs Dow Jones sur Instagram. Mais son ton décalé basé sur la culture pop et ses vidéos dynamiques pleines d’humour lui permettent d’aborder tous les sujets financiers sans assommer son audience: les actions et obligations, les intérêts composés, l’inflation, la gestion d’un budget…
Il n’est donc pas question d’interdire les finfluenceurs qui répondent à un besoin réel, mais plutôt de veiller à ce que les pratiques respectent la réglementation. Aux Etats-Unis, le gendarme boursier américain (SEC) a ainsi sanctionné Emperor Investments qui versait une commission pour chaque nouveau client apporté par des finfluenceurs (sans en avertir les prospects).
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Pas de miracle
De votre côté, si vous suivez des finfluenceurs, gardez toujours en tête que leurs conseils ne sont pas forcément désintéressés. Soyez tout particulièrement vigilants quand les avis portent sur des produits très risqués comme des actions à très faible capitalisation/liquidité, des produits dérivés (sur matières premières notamment), des cryptomonnaies, ou encore des NFT (jetons non fongibles, comparables à des certificats numériques).
Comme le résume bien Vivian Tu, alias YourRichBFF, “devenir riche rapidement, ça ne marche pas”. Cette ex-trader de JP Morgan prodigue par contre de nombreux conseils pour payer moins d’impôts, pour surclasser votre logement, pour obtenir un meilleur rendement sur votre épargne, etc.
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