Pétrole et finance islamique, les atouts du golfe Persique
Sous le feu des projecteurs (et des critiques) en cette Coupe du monde au Qatar, les Etats du golfe Persique ne cessent de surprendre par leurs ambitions. Si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes, la manne pétrolière devrait continuer d’irriguer l’économie et les Bourses locales.
Signe omniprésent des ambitions des Etats du Golfe, le Burj Khalifa de Dubaï est le plus haut gratte-ciel du monde, culminant à 828 mètres. Autre spécialité, les archipels artificiels, dont l’île de Yas aux Emirats arabes unis qui impressionne par sa taille: 25 km² entièrement dédiés aux loisirs, avec un circuit de Formule 1, un parc à thème, un parc aquatique, des hôtels, des terrains de golf, un énorme centre commercial, etc. Citons encore pêle-mêle le Louvre et le Guggenheim Abou Dhabi, la dernière Exposition universelle, l’aéroport international le plus fréquenté du monde ou des compétitions sportives de tout poil: tournoi de tennis, tour cycliste, le rallye Dakar, la super-coupe d’Espagne (!) de football ou de nombreux championnats du monde (football, cyclisme, athlétisme, natation, handball, etc.).
Un projet pharaonique
Plus discrète que ses voisins jusqu’il y a quelques années, l’Arabie saoudite est entrée dans la danse depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed ben Salmane (surnommé MBS). Dans le sport, soft power par excellence pour les Etats du Golfe, le fonds souverain saoudien a racheté le club de Newcastle et le circuit de Jeddah s’est invité au calendrier de la Formule 1. L’Arabie saoudite veut aussi devenir une place forte des e-sports et compte y investir 37 milliards de dollars. Et ce ne sont là que de menues dépenses dans le programme Vision 2030 concocté par MBS, dont le projet le plus pharaonique est Neom, qui doit s’étendre de la mer Rouge et aux monts Sarawat. Ce projet se divise en trois parties:
· Oxagon, une vaste zone industrielle de 48 km2 comprenant un port automatisé sur la mer Rouge ;
· The Line, une mégalopole neutre en carbone de 500 m de haut, 200 m de large et 170 km de long. Ce couloir géant traversant le désert serait équipé de miroirs et accueillerait 9 millions de personnes ;
· Trojena, un vaste complexe de sports d’hiver et d’aventure dans les monts Sarawat. Il doit accueillir les Jeux asiatiques d’hiver en 2029.
Au total, le budget est évalué à 500 milliards de dollars. La première phase coûterait à elle seule environ 320 milliards. Le fonds souverain saoudien doit en financer la moitié et MBS a annoncé que Neom sollicitera d’autres investisseurs et les marchés boursiers en 2024. Le projet serait géré comme une cité-Etat privée, avec des lois progressistes plus proches des standards occidentaux que du droit saoudien encore largement basé sur la charia.
Vision(s) 2030
Selon Knight Frank, les 15 projets majeurs de Vision 2030 représentent des investissements totaux de 1.100 milliards de dollars. Outre la création de Neom, ils devraient permettre à la capitale Riyad de doubler sa population d’ici 2030 en misant sur l’automatisation et la durabilité.
L’objectif final est la diversification économique dans de nombreux secteurs, allant de la défense au divertissement, pour pallier la baisse attendue de la consommation de pétrole. MBS l’avait ainsi présenté peu de temps après la chute des prix du pétrole de 2014 qui avait fortement grevé les finances du pays.
Pour le concocter, l’Arabie saoudite a pu s’inspirer des plans stratégiques déjà mis en place par ses voisins. Dès 2008, le Qatar avait ainsi dévoilé son National Vision 2030. Les piliers économiques du programme sont la création de pôles autour de l’économie de la connaissance, le développement d’un hub de transport et la constitution d’un centre financier à Doha. Le Qatar veut aussi asseoir sa position de leader dans le gaz naturel liquéfié et vise à augmenter sa production de 43% d’ici 2025. L’autonomie est également un sujet transversal. Le Qatar veut ainsi assurer une plus grande partie de ses besoins alimentaires et poursuit la “qatarisation” afin de porter la part des Qatariens dans les emplois des secteurs publics et privés à plus de 50%. Le recours massif à de la main-d’oeuvre étrangère pose en effet des problèmes d’autonomie mais aussi sociaux et éthiques, comme en témoignent les nombreux scandales liés à la construction des stades pour la Coupe du monde de football.
Abou Dhabi (Emirats arabes unis) dispose aussi de son plan Vision 2030, successeur de la stratégie Vision 2021, avec des volets économique et culturel. L’émirat compte toujours sur le pétrole puisqu’il veut augmenter sa production de 4 à 5 millions de barils par jour. Parallèlement, il souhaite diversifier son économie, en visant notamment des secteurs à haute valeur ajoutée comme les biotechnologies, et augmente structurellement les investissements publics dans les infrastructures.
L’or noir
Pour financer ces projets faramineux, l’Arabie saoudite et ses voisins peuvent toujours compter sur la manne pétrolière. Saudi Aramco a ainsi engrangé un bénéfice net de plus de 130 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de l’année. Le groupe pétrolier public saoudien a aussi versé plus de 112 milliards sur la période en impôts et en zakât, l’aumône islamique obligatoire. Avec une capitalisation boursière de près de 2.000 milliards (uniquement dépassée par Apple dans le monde), Saudi Aramco constitue aussi une importante réserve de capitaux pour l’Arabie saoudite, qui en détient toujours 98% (directement et via son fonds souverain).
Les Emirats arabes unis, eux, devraient afficher un surplus budgétaire de 9,4% du PIB cette année grâce aux prix élevés du pétrole, selon l’agence Fitch. Et le Qatar a, pour sa part, vu ses revenus pétroliers et gaziers bondir de 67% au premier semestre.
Les investissements élevés devraient en toute logique porter l’économie. Pourtant, les premiers résultats sont plutôt mitigés.
L’année dernière, les spécialistes de Bloomberg Economics ont ainsi comparé les chiffres de 2020 de l’Arabie saoudite par rapport aux objectifs intermédiaires du plan Vision 2030. Sur les neuf indicateurs, un seul objectif a été atteint (participation des femmes sur le marché du travail). Pour cinq indicateurs, dont les investissements étrangers directs et la compétitivité, il était même question de recul.
Plusieurs événements ont terni l’image du pays ces dernières années. En 2017, la purge anticorruption a pris des airs de règlement de compte et d’élimination d’opposants. Le meurtre en 2018 de l’éditorialiste du Washington Post Jamal Khashoggi par les forces spéciales saoudiennes a aussi freiné les investisseurs étrangers. Sans oublier évidemment la guerre au Yémen qui a provoqué une terrible crise humanitaire.
Les Emirats arabes unis visaient initialement une croissance annuelle de 7% jusqu’en 2015 et ensuite de 6% jusqu’en 2030. Des objectifs qui n’ont jamais été atteints non plus. La diversification a jusqu’ici livré des résultats mitigés. En début d’année, le vice-Premier ministre, Cheikh Mansour, constatait que la part de la production manufacturière dans le PIB n’avait augmenté que de 8% à 9% en une décennie.
Des coûts de production bas
Toutefois, la région ne devrait pas souffrir d’une baisse rapide de la demande de pétrole car elle profite de coûts de production extrêmement bas, estimés à moins de 10 dollars par baril. Saudi Aramco affiche même un coût direct de 3 dollars. Comparativement, le pétrole de schiste américain (de 30 à 60 dollars en coût de production), l’offshore brésilien (de 40 à 60 dollars) ou l’Arctique (de 50 à 100 dollars) seront abandonnés bien plus rapidement si la demande mondiale reflue.
Rappelons également que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que même dans son scénario de neutralité carbone, la consommation de pétrole dans le monde sera toujours de près de 25 millions de barils par jour en 2050.
La rente pétrolière des Etats du Golfe n’est donc pas près de disparaître, même si elle devrait diminuer, ce qui continuera de soutenir les investissements dans les infrastructures, et donc les économies locales. Selon la Banque mondiale, le PIB des Etats du Conseil de coopération du Golfe (GCC) devrait passer de près de 2.000 milliards de dollars en 2022 à 6.000 milliards en 2050 suivant les politiques actuelles. Et pourrait atteindre 13.000 milliards avec une stratégie de croissance verte efficace.
Au niveau boursier, Saudi Aramco représente environ 70% de la capitalisation du Tadawul, principal marché régional et dixième Bourse mondiale, elle n’est en effet que la troisième valeur de l’indice de référence MSCI Tadawul 30, car moins de 2% de son capital est négociable en Bourse.
La finance islamique
A moins de disposer d’un accès direct à la Bourse de Riyad, vous devrez vous contenter d’investissements via des fonds faisant la part belle aux banques. Les quatre premières valeurs du MSCI GCC (Etats du Golfe) sont ainsi Al Rajhi Banking, Saudi National Bank, Qatar National Bank et National Bank of Kuwait. Au total, le secteur financier représente 60% de l’indice, devant les matériaux de base (13%) et les télécoms (10%).
Les institutions financières du Golfe profitent évidemment de la croissance locale mais aussi du développement de la finance islamique dans le monde. Selon les données de Bloomberg, les émissions de sukuks (obligations conformes à la charia) à plus d’un an ont triplé depuis 2010, à plus de 70 milliards de dollars en 2021.
Pour investir dans les Bourses du Golfe, vous pouvez opter pour des ETF comme le Xtrackers MSCI GCC (Bourse de Francfort ; ISIN: IE00BQXKVQ19 ; frais annuels de 0,65%) sur les Bourses du Golfe. Ou plus spécifiquement l’Invesco MSCI Saudi Arabia (Bourse de Londres ; ISIN: IE00BFWMQ331 ; frais annuels 0,50%).
Notez toutefois que les valorisations sont aujourd’hui plus tendues. Le MSCI GCC fait partie des rares indices en progression cette année et affiche un rendement annualisé de près de 16% sur trois ans grâce notamment à la hausse du pétrole.
130 milliards
En dollars, le bénéfice net engrangé par le groupe pétrolier public saoudien Saudi Aramco sur les neuf premiers mois de l’année.
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