Retraite à 66 ans : comment donner du sens aux carrières prolongées ?

Une étude récente révèle que huit Belges sur dix doutent de pouvoir travailler jusqu’à 66 ans. Stephanie Heurterre de Securex et l’expert en pensions Steven Vanduffel expliquent les raisons de cette inquiétude et les solutions que les employeurs peuvent mettre en place pour maintenir la motivation de leurs employés. “Les gens veulent sentir que leur travail a du sens.”
Selon une enquête de Securex, la pension suscite des inquiétudes. 80,4 % des travailleurs belges estiment ne pas pouvoir travailler jusqu’à 66 ans ou au-delà. Un chiffre alarmant, surtout depuis que l’âge de la retraite a été relevé à ce seuil cette année. Mais ce résultat n’étonne pas Stephanie Heurterre, consultante RH senior et impliquée dans l’étude.
Une pression croissante dans le monde du travail
“Lors de nos formations et coachings, nous recevons souvent les mêmes signaux de la part des managers et des employés”, explique-t-elle. “De nombreux travailleurs ressentent la pression d’une charge de travail accrue, tandis que les employeurs doivent faire face à des postes vacants et à une pénurie de profils qualifiés. Cela crée un cercle vicieux de stress et d’incertitude.”
Les managers, eux aussi, sont sous pression. “Ils se retrouvent pris entre les attentes de la direction et les besoins de leurs équipes”, ajoute Heurterre. “Trouver un équilibre entre productivité et bien-être des employés est devenu un défi croissant, surtout depuis la crise du Covid.”
Outre la charge de travail, des facteurs personnels entrent également en jeu. “De plus en plus de travailleurs rencontrent des problèmes de santé ou doivent faire face à des responsabilités familiales, que ce soit pour leurs enfants ou leurs parents âgés”, précise Heurterre. En parallèle, les postes vacants qui ne sont pas rapidement pourvus alourdissent la charge de travail des employés en place.
Le manque de sensibilisation à la question du travail prolongé
D’après Heurterre, le problème vient en partie du manque de dialogue et de sensibilisation sur le travail prolongé. “On se contente souvent d’annoncer la nouvelle limite d’âge de la retraite sans réellement préparer les travailleurs à cette réalité. Or, travailler ne doit pas être perçu uniquement comme une contrainte, mais aussi comme une source de bien-être, à condition que cela soit organisé de manière durable.”
Les études montrent que les employés qui trouvent du sens dans leur travail sont bien plus motivés et satisfaits. “Si les travailleurs sentent que leur travail est utile et qu’ils ont une certaine autonomie, ils restent motivés plus longtemps”, ajoute-t-elle.
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Les métiers pénibles au cœur du débat des pensions
Steven Vanduffel, expert en pensions et professeur à la VUB, souligne que travailler jusqu’à 66 ans n’est pas envisageable pour tout le monde. “Certains métiers, physiquement ou mentalement exigeants, rendent cela impossible. De plus, certaines personnes doivent s’occuper d’un proche. Pour elles, des solutions comme la retraite anticipée ou le temps partiel doivent rester accessibles.”
Un enjeu majeur concerne les métiers pénibles, souvent exercés dès un jeune âge. “Après 40 ou 45 ans de carrière, ces travailleurs sont souvent épuisés”, explique Vanduffel. “De plus, les personnes moins qualifiées ont en moyenne une espérance de vie plus courte, ce qui réduit leur temps de retraite.” Il plaide donc pour une adaptation de l’âge de la retraite en fonction de la durée de la carrière.
Une autre option serait de permettre aux travailleurs de prendre leur retraite plus tôt en échange d’une pension réduite. “Si les gens ont la possibilité de partir plus tôt, cela peut les motiver à maintenir de bonnes performances jusqu’à leur départ”, estime Vanduffel. “Ceux qui ont pu épargner davantage via des piliers de pension supplémentaires pourront se le permettre.”
Revaloriser les travailleurs seniors
Stephanie Heurterre insiste sur l’importance de valoriser les employés plus âgés. “Un ouvrier qui a travaillé 30 ans dans le bâtiment possède une expertise précieuse. Certains pourraient former et encadrer les plus jeunes. Si on les soutient avec des tâches adaptées et un cadre de travail sain, ils peuvent prolonger leur carrière tout en contribuant autrement.”
Des solutions pour prolonger les carrières
Pour rendre les travailleurs plus durables sur le marché de l’emploi, les entreprises doivent allier capacité de travail et plaisir au travail. Heurterre recommande aux employeurs de discuter tôt avec leurs employés de leurs motivations et défis. Elle suggère également d’offrir plus de flexibilité dans les tâches et les horaires, ainsi que d’investir dans la formation pour permettre aux travailleurs âgés de se reconvertir.
Ces actions ne concernent pas uniquement les grandes entreprises. “Dans une PME, la relation entre le dirigeant et les employés est souvent plus proche, ce qui facilite le dialogue”, explique-t-elle. “L’important est d’accorder une attention continue au bien-être et à l’épanouissement professionnel.”
L’enjeu de la préparation financière à la pension
Un autre point clé est la préparation financière des travailleurs. “Beaucoup s’inquiètent de leur situation financière future et ne savent pas s’ils auront assez de ressources pour vivre sereinement leur pension”, souligne Vanduffel. “Il faut renforcer cet aspect et encourager une meilleure épargne-pension.”
Selon lui, l’État devrait améliorer les deuxième et troisième piliers de pension (pension complémentaire via l’employeur et épargne-pension individuelle). “De nombreuses entreprises proposent une pension complémentaire via des assurances de groupe, mais ces fonds sont souvent mal investis et offrent un rendement trop faible.”
Il propose de rendre les fonds de pension plus accessibles aux indépendants et petites entreprises et de réduire drastiquement les frais liés aux produits d’épargne-pension afin d’optimiser les rendements.
Des préjugés envers les travailleurs seniors
Enfin, Heurterre pointe un problème de perception du marché du travail envers les seniors. “On leur demande de travailler plus longtemps, mais on leur offre moins d’opportunités. Beaucoup d’employeurs craignent qu’ils ne suivent pas l’évolution technologique ou qu’ils coûtent trop cher.”
Une étude de l’UGent montre que la discrimination liée à l’âge reste très répandue. “Les employeurs doivent dépasser cette vision et se demander : ‘Quelle est la valeur ajoutée de cette personne pour notre entreprise ?'”, insiste-t-elle. “En valorisant et en accompagnant les travailleurs expérimentés, on peut mieux exploiter leur expertise et atténuer la pénurie de main-d’œuvre.”
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