Pour les syndicats, la réforme que Jan Jambon veut mettre en place dès l’an prochain va se traduire par une perte sèche pour les pensionnés. Non, elle va changer les comportements, rétorque le ministre des Pensions.
“C’est très compliqué”. Cette réaction est celle de plusieurs économistes à qui nous avions demandé de trancher dans la guerre des simulations qui opposent, depuis quelques jours, les syndicats et le ministre en charge des Pensions, Jan Jambon. Nous allons tout de même tenter d’y voir plus clair.
Les grands points de la réforme
Première remarque : le texte de la réforme a encore été discuté au gouvernement le vendredi 10 octobre et n’est pas définitif. Mais le ministre des Pensions, Jan Jambon, tient mordicus à son texte et une entrée en vigueur est prévue dès le début de l’année prochaine. Ce qui cause d’ailleurs des maux de tête dans l’administration, qui estime que les délais ne seront pas simples à tenir.
Sur le fond, la réforme veut relever progressivement l’âge légal de la pension : 66 ans pour ceux nés entre 1960 et 1963, 67 ans pour ceux nés ensuite. Un malus s’applique à ceux qui prendraient leur pension anticipée sans remplir certaines conditions de durée de carrière ou de jours travaillés effectifs. Pour éviter toute pénalité, il faut réunir deux conditions : justifier d’au moins 35 années de carrière (calculées en années civiles), soit, à partir du premier janvier 2027, au moins 156 jours travaillés par an (contre 104 jours actuellement).
Cela pose d’ailleurs un problème pour la première année de travail de la plupart des travailleurs qui quittent généralement l’école fin juin et qui, même s’ils trouvaient un emploi dès le mois de juillet, ne pourraient pas faire compter cette première année dans le calcul de leur pension. Et, seconde condition, avoir presté au minimum 7.020 jours de travail effectif au long de sa carrière.
Les périodes assimilées (chômage, maladie, congé parental) ne peuvent pas dépasser 20% de la durée totale de la carrière. Ceux qui ne parviennent pas à remplir cette condition subissent un malus de 2%, 4%, 5% (selon leur année de naissance) par année manquante.
La note du SPF
Les syndicats ont jeté de l’huile sur le feu en dévoilant certains éléments d’une note technique, censée rester discrète, du SPF Pensions. Ce dernier a étudié un échantillon de 600 personnes parmi les travailleurs partis à la pension il y a environ deux ans. L’impact de la réforme a été simulé en faisant comme si, pour ces personnes, la réforme Jambon était déjà entrée en vigueur. Résultat : 30% de ces pensionnés subiraient une sérieuse décote de leur pension et perdraient, en moyenne, 318 euros par mois. La pension moyenne de ce groupe passerait en effet de 1.390 à 1.072 euros par mois. Et les femmes représenteraient 70% des personnes de cet échantillon.
“Si les nouvelles règles avaient été appliquées, 70% des personnes ayant pris une retraite anticipée ou à l’âge légal en 2023 n’auraient subi aucun impact négatif.” – Jan Jambon, ministre fédéral des Pensions
Ce n’est pas un secret que les femmes travaillent plus souvent à temps partiel que les hommes, que ce choix soit volontaire ou subi. Leur carrière est souvent plus fragmentée avec les grossesses, mais aussi le fait que lors d’une séparation, elles assument souvent seules la charge des enfants. Pour Selena Carbonero, secrétaire générale de la FGTB, le constat était déjà repris dans le rapport d’étude sur le vieillissement : le malus qui sera instauré touchera une femme sur deux qui partirait en pension anticipée et un homme sur trois. Cela s’explique par la condition nécessaire pour éviter le malus.
Malus pension
“On a tendance à se concentrer sur la première, le fait de devoir justifier de 35 années de carrière à raison de 156 jours de travail effectif par an, explique-t-elle. Mais pour remplir la seconde, avoir 7.020 jours de travail effectivement prestés, il faut avoir travaillé 45 ans à mi-temps sans jamais avoir été malade”.
On observe aussi que 44% des victimes du malus pension sont des malades de longue durée. “Ils subiront une double peine, estime Selena Carbonero. Non seulement ces personnes ont été malades, mais en plus leur pension sera pénalisée.”
La réforme prévoit toutefois d’assouplir les conditions pour les malades de longue durée. “Oui, répond Selena Carbonero, des correctifs sont prévus, mais outre le fait qu’il sont d’une extrême complexité à calculer, ils n’empêcheront pas de devoir travailler davantage pour éviter un malus. De plus, la correction ne joue qu’à partir du moment où l’on a plus de 10 années de maladie de longue durée sur l’ensemble de la carrière. Les autres, on ne sait pas pourquoi, restent punis.”
Aucun impact pour 70% des pensionnés
Des critiques qui ont passablement énervé Jan Jambon, qui estime que les syndicats tirent des conclusions erronées et cherchent à faire peur. D’abord, si 30% de l’échantillon analysé par le SPF Pensions avait été touché par la réforme, cela signifie que 70% ne l’aurait pas été. “Le SPF Pensions est convaincu qu’une large majorité (66%) des personnes ayant pris une retraite anticipée et 74% des personnes ayant pris leur retraite à l’âge légal (65 ans) n’auraient subi aucun impact négatif sur le montant de leur pension si les nouvelles règles de 2033 avaient été applicables en 2023”, affirme-t-il.
Le cabinet de Jan Jambon se défend en tout cas de réaliser des économies sur le dos des pensionnés. “En réalité, les économies attendues proviennent essentiellement de l’effet comportemental du bonus-malus, qui retarde la prise de pension et prolonge l’activité professionnelle, explique Pol Van Den Driesche, porte-parole du ministre des Pensions. Ainsi, le revenu disponible et le montant de la pension des personnes concernées augmenteront plutôt que de diminuer, tandis que la hausse du coût du vieillissement devrait être réduite de moitié, d’ici 2070. En ajustant la carrière, en prolongeant le travail de quelques mois ou quelques années, les travailleurs peuvent éviter le malus et augmenter leur pension. Et il existe une marge pour absorber des interruptions (maladie, chômage), rendant la réforme viable et équitable”, ajoute-t-il.
Des incitants puissants
Et pour illustrer la force de ces incitants, le cabinet du ministre des Pension présente trois cas – Nancy, Cindy et Roel (oui, on est chez Jan Jambon) – de personnes, nées dans les années 1970, qui voudraient prendre leur pension avant l’âge légal de 67 ans, et pour lesquelles la réforme imposerait donc un malus de 4% par an si elles prenaient leur pension trop tôt.
Exemple 1
Prenons l’exemple de Nancy, infirmière. Elle a débuté sa carrière à 21 ans et aura 42 ans de carrière à 63 ans. Nancy a travaillé 29 ans à 80%, elle a dû s’interrompre huit ans pour maladie, auxquels s’ajoutent deux ans de congé pour soins. Elle a ensuite travaillé ses trois dernières années sous le régime de fin de carrière à mi-temps. Son salaire moyen était de 54.268 euros et en arrêtant sa carrière à 63 ans, avec la réforme, le montant de sa pension tombe de 1.984 à 1.680 euros, car elle ne répond pas au critère d’avoir travaillé au moins 35 ans à raison d’au moins 156 jours par an. Mais si elle prolonge son mi-temps de fin de carrière d’un an, sa pension passera à 2.031 euros par mois. Si elle prend sa retraite à 67 ans, elle percevra 2.268 euros.
Exemple 2
Le deuxième cas est celui de Cindy, caissière, qui a commencé à travailler à 18 ans et prend sa retraite à 61 après 43 années de carrière. Elle a travaillé 31 ans à 60%, a été deux ans au chômage, deux ans en congé maladie, et a bénéficié de six années d‘allocation de garantie de revenu. Son salaire moyen était de 31.912 euros par an, et donc sa pension, hors malus, aurait été de 1.769 euros. Mais comme elle prend sa retraite à 61 ans, son malus est de 23,31% puisqu’il lui manque deux ans et 593 jours. Ce qui fait retomber le montant de sa pension à 1.356 euros. Mais en travaillant encore deux années supplémentaires à temps plein ou trois années et deux mois à 60%, elle percevrait 1.809 euros, soit le même montant que si elle partait à 67 ans.
Exemple 3
Le troisième et dernier cas de figure est celui de Roel, un informaticien qui a débuté à 21 ans, et aura donc 42 ans de carrière à 63 ans, dont 31 à temps plein, avec un salaire annuel moyen de 77.485 euros. Sa carrière a cependant été interrompue par sept années de maladie, deux années de congés pour convalescence et ses deux dernières années de carrière ont été aménagées en mi-temps. Il n’a pas de malus car il peut se prévaloir de 35 années. S’il prend sa retraite à 63 ans, il touchera 2.864 euros par mois. S’il attend jusqu’à 67 ans, il percevra 2.961 euros.

Les incitants fonctionnent
On ne va pas discuter de la crédibilité de tous ces cas. En effet, si Nancy, l’infirmière, sort d’un master de quatre ans, il est peu probable qu’elle puisse afficher 42 ans de carrière à 63 ans, mais l’essentiel du message est là : les incitants fonctionnent.
“Encore faut-il être capable de travailler plus longtemps, rétorque Selena Carbonero. Le gouvernement part du principe que la norme est le travail à temps plein, sans circonstance de pénibilité. Mais dans la réalité, c’est totalement différent, et il favorise le temps partiel. Il assouplit une série de conditions (il supprime, par exemple, pour les temps partiels, l’obligation d’avoir au moins un tiers temps), il organise les flexi-jobs, les jobs étudiants, les heures supplémentaires incontrôlées et incontrôlables.
Dans les titres-services, 99% des offres sont des temps partiels. Il y a un déficit de places dans les crèches ou les accueils extra-scolaires. Je ne vois pas comment les femmes, qui constituent 80% des temps partiels et à qui on ne propose pas autre chose dans les secteurs où elles sont occupées, vont pouvoir aller gratter des heures pour compléter leurs horaires. Elles sont placées dans une situation inextricable.”
“Encore faut-il être capable de travailler plus longtemps…” – Selena Carbonero (FGTB)
Mais dans la réalité ?
Chacun présente donc une part de vérité. Oui, les incitants du gouvernement devraient pousser les gens à travailler plus longtemps. Et oui, il reste encore un espace pour partir à la pension avant l’âge légal sans être pénalisé, pour ceux qui commencent leur carrière assez tôt en tout cas. Mais oui, la situation des travailleurs aujourd’hui à temps partiel, et plus spécialement des femmes et des malades de longue durée, va se compliquer avec la réforme mise en place.
Et oui, la série de mesures qui favorisent l’emploi des “insiders”, ceux qui sont déjà dans le système (jobs étudiants, flexi-jobs pour les pensionnés, heures supplémentaires…) va compliquer la tâche des “outsiders”, ceux qui cherchent à entrer sur le marché du travail, avec des répercussions sur leur pension future.
Et oui, c’est donc compliqué d’estimer l’impact réel qu’aurait cette réforme des pensions.
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