Or liquide: le whisky, bon investissement ou bulle spéculative?

FÛTS DE WHISKY. Le plus grand risque, c’est l’escroquerie. © Getty Images

Cela fait longtemps que le whisky n’est plus seulement une boisson pour fins connaisseurs. Ces dernières années, il est devenu un instrument d’investissement au rayonnement mondial. Des bouteilles rares et fûts de whisky aux NFT basés sur la blockchain, le marché est plus diversifié que jamais. Mais derrière la hype se cache une histoire complexe faite de passion, de spéculation et de… corrections.

Il y a environ 15 ans, le single malt a été découvert massivement, ce qui a entraîné un boom des clubs, festivals et blogs”, explique Jeroen Moernaut, fondateur de Care for Craft Spirits, la plus ancienne et l’une des plus grandes boutiques belges de whisky en ligne.

À cause de la popularité croissante, les stocks de vieux fûts ont diminué, ce qui a fait augmenter le prix des bouteilles de 10 à 20% chaque année. Cela a engendré un marché de seconde main florissant. “Dans le segment supérieur, il n’est pas exceptionnel qu’une bouteille achetée en 2012 pour 250 euros vaille aujourd’hui dix fois plus, poursuit Jeroen Moernaut. Ce qui était déjà vieux et rare à l’époque est devenu encore plus rare. Des bouteilles de The Macallan et Karuizawa se sont vendues à des dizaines de milliers d’euros.”

Outre les bouteilles, les investisseurs peuvent également investir dans des fûts entiers. Ceux-ci mûrissent pendant des années en Écosse et ne deviennent négociables qu’après la mise en bouteille. Le rendement ? Jusqu’à 12% par an, selon certains prestataires. Mais les risques sont bien réels : délais d’attente longs, coûts d’embouteillage, incertitude sur la valeur de marché lors de la revente…

“Mais le plus grand risque, c’est simplement l’escroquerie, pointe Jeroen Moernaut. En Écosse, la boîte de Pandore a été ouverte : des vendeurs ont vendu les mêmes fûts à quatre acheteurs différents pour des multiples de leur véritable valeur marchande. Partout, on entend des histoires de ventes pyramidales avec des certificats de fûts inexistants et de pauvres victimes qui ont perdu toutes leurs économies. Les gens ne réalisent souvent pas que, légalement parlant, on achète le fût et non son contenu. Fuites, vols, dégustations personnelles… rien de tout cela n’est couvert.”

Crypto-whisky

Le monde du whisky a également flirté ces dernières années avec la scène crypto. Ardbeg, Macallan et Dalmore ont lancé des éditions exclusives via des NFT – des certificats de propriété numériques liés à des bouteilles physiques. L’un des exemples les plus connus est l’Ardbeg Fon Fhòid. Ceux qui souhaitaient acquérir une telle bouteille devaient acheter un jeton numérique pour 1 ether (environ 3.000 euros à ce moment-là). La bouteille était ensuite expédiée à Singapour et y restait stockée, à moins que vous n’alliez la chercher vous-même. Entre-temps, on pouvait négocier le NFT sur des plateformes virtuelles, indépendamment de la bouteille physique. Le jouet ultime pour les investisseurs, les flambeurs et les traders de tout poil. Le whisky ? Accessoire. La fièvre des NFT semble désormais en grande partie passée. Le dernier NFT Ardbeg a été vendu pour 2.919 dollars et trois sont encore à vendre entre 3.500 et 4.500 dollars.

Mais cela peut aussi être moins exotique. Il existe des fonds d’investissement réglementés, comme le Scotch Whisky Investments aux Pays-Bas et qui est sous la supervision de l’Autorité des marchés financiers (AFM) depuis 2014. Avec 320 millions d’euros d’actifs en whisky sous gestion pour 1.600 clients dans le monde, il offre aux investisseurs un accès, dès 1.000 euros, à des bouteilles comme un Glenfarclas de 33 ans d’âge ou un Mortlach de 58 ans.

Selon le Wealth Report 2024 de Knight Frank, la valeur des whiskys rares a augmenté de pas moins de 280% au cours de la dernière décennie. Le fonds SWI évoque lui-même un rendement net annuel attendu entre 6 et 11%, en fonction du montant investi, du profil de risque, de la période et des évolutions du marché. Un joli retour, mais ici aussi une question demeure : quelle est la valeur d’un whisky que l’on ne voit jamais, ne sent jamais, ne goûte jamais ? C’est comme acheter un tracker sur la Joconde ou le Guernica de Picasso.

Le goût plutôt que le tableur

Pour Jeroen Moernaut, la réponse est claire : “Le whisky, pour moi, ce n’est pas un fichier Excel. C’est un produit qu’il faut vivre. Mon conseil aux débutants ? Goûter, goûter et encore goûter. Développez votre propre palette de goûts. Allez à des festivals, rejoignez un club de whisky et achetez des bouteilles que vous aimez vraiment.”

Celui qui s’aventure sur le marché du whisky ferait bien de garder à l’œil quelques facteurs fondamentaux. La rareté joue un rôle clé : les éditions limitées, les sorties spéciales et les bouteilles de distilleries qui ont fermé sont souvent les plus recherchées. Leur valeur augmente non seulement grâce à leur rareté, mais aussi grâce à leur histoire et au savoir-faire qu’elles incarnent. De plus, l’état de la bouteille est d’une grande importance. Une étiquette intacte, un emballage d’origine et des conditions de stockage adéquates peuvent faire la différence entre un bon et un excellent investissement.

La marque et l’âge du whisky sont également déterminants. De grands noms comme Macallan, Glenfiddich et Yamazaki atteignent systématiquement des prix élevés. Les whiskys plus âgés sont souvent plus rares et plus recherchés, mais des cuvées plus jeunes peuvent aussi avoir de la valeur si elles sont de grande qualité et issues d’une distillerie renommée. Enfin, suivre les tendances du marché est essentiel. Ceux qui surveillent les résultats des ventes aux enchères et les indices de prix comme Whiskystats.com peuvent mieux saisir les opportunités. Une soudaine montée en popularité d’une certaine marque ou d’un type de whisky peut être un signal précoce d’une opportunité d’investissement intéressante.

“Le whisky, pour moi, ce n’est pas un fichier Excel. C’est un produit qu’il faut vivre.”

Écosse : la championne classique

Qui dit whisky, dit presque automatiquement Écosse. Le marché écossais reste dominant. Macallan est célèbre pour ses whiskys vieillis en fûts de sherry et ses éditions exclusives, tandis que Glenfiddich allie tradition et innovation, notamment avec son 50 Year Old. Depuis 2023, Jeroen Moernaut observe toutefois une stagnation. “L’industrie a produit à plein régime dans l’espoir d’un boom asiatique, mais celui-ci ne s’est pas matérialisé. On estime désormais que 20 millions de fûts sont en train de mûrir. Cela pèse sur les prix. Beaucoup de bouteilles ne portent plus d’indication d’âge – un signe que de jeunes whiskys sont mélangés avec des plus vieux.”

L’écosse demeure le marché dominant du whisky. © Getty Images

Japon : l’étoile montante

Le Japon reste également prisé des investisseurs. Yamazaki, la plus ancienne distillerie de malt whisky du pays, s’est forgée une solide réputation. Des bouteilles rares comme la Yamazaki 18 ou 25 ans d’âge atteignent des prix élevés aux enchères. Karuizawa est l’exemple par excellence de la rapidité avec laquelle la valeur peut augmenter : des bouteilles vendues 300 euros en 2007 coûtent aujourd’hui plus de 5.000 euros. Certains Belges ont financé leur entreprise ou leur maison grâce à cela.

Irlande et Belgique : marchés émergents

“L’Irlande est un géant endormi, affirme Jeroen Moernaut. En 2010, il n’y avait que quatre distilleries, aujourd’hui on en compte environ soixante. Le rapport qualité-prix y est souvent meilleur qu’en Écosse.” Mais là non plus, tout n’est pas rose : la distillerie irlandaise Waterford – autrefois saluée pour son approche axée sur le terroir, chaque édition étant liée à un champ particulier d’une ferme spécifique – a récemment fait faillite. Un signal indiquant que même les acteurs innovants ne sont pas à l’abri de la pression du marché.

Et la Belgique ? “Nous comptons aujourd’hui une vingtaine de distilleries, comme Filliers, Braeckman, De Molenberg et Belgian Owl. Certaines produisent des whiskys de très grande qualité. Les premières éditions de De Molenberg se sont vendues 50 euros, mais ont rapidement pris beaucoup de valeur. Même si là aussi, le marché s’est refroidi.” Le whisky reste donc une niche avec du potentiel, mais le temps des gains rapides semble révolu.

Le marché évolue vers la maturité, où la connaissance, le goût et la patience font la différence. Pour ceux qui recherchent uniquement du rendement, il y a les fonds et les NFT. Pour ceux qui veulent vraiment comprendre le whisky, tout commence avec un verre à la main. Comme le dit Jeroen Moernaut : “La valeur de collection, cela ne se goûte pas. Mais la qualité, si. Et si un jour vous devez choisir entre un tableur et une bouteille qui vous touche vraiment, vous saurez quoi faire.”

Bruno Iserbyt

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