Obligation d’entreprise: une opportunité historique dans le crédit
La perspective d’atteindre prochainement le pic d’inflation en Europe et aux Etats-Unis constitue une opportunité d’achat pour les obligations d’entreprise.
L’année 2022 a été incontestablement difficile pour la plupart des classes d’actifs. Les fonds exposés sur la dette d’entreprise ont très largement souffert du contexte défavorable causé par la politique monétaire des grandes banques centrales. Notre tableau le montre, qui reprend une sélection de fonds noté 4 ou 5 étoiles chez Morningstar exposés sur le marché de la dette d’entreprise au niveau européen, américain ou global. A noter que le but de ce tableau est de fournir un échantillon des différents produits qu’il est possible de trouver sur la dette d’entreprise, des fonds qui ne sont pas directement comparables entre eux.
Pour rappel, le prix d’une obligation évolue en sens opposé au niveau des taux d’intérêt. Lorsque les taux sont bas, la valeur d’une obligation est très élevée. Et lorsque les banques centrales commencent à relever leur taux, le stock des obligations déjà émises à des taux bas perd rapidement une grande partie de sa valeur, car les investisseurs préfèrent alors se tourner vers de nouvelles émissions plus rémunératrices. Ceci explique que le revirement des banques centrales ait impacté aussi lourdement les classes d’actifs obligataires après plus de 10 ans de politiques monétaires très accommodantes.
Enfin une alternative
Pourtant, l’ensemble des stratégistes qui donnent aujourd’hui des prévisions pour l’exercice 2023 pointent vers cette classe d’actifs comme étant une des zones du marché à détenir pour les prochains mois. Frederik Ducrozet, head of macroeconomic research chez Pictet Wealth Management, estime que “la dette d’entreprise américaine va être une des zones du marché à détenir au premier semestre 2023, et plus particulièrement la dette de bonne qualité (aussi appelée investment grade, soit des notations BBB- et supérieures chez les grandes agences de notation) qui ne devrait pas faire face à d’importants défauts”.
“Même avec la récession que nous anticipons aux Etats-Unis, la performance de ce segment du marché devrait dépasser 10% en 2023. C’est d’ailleurs le premier marché du crédit sur lequel nous sommes revenus récemment en position surpondérée.” Alors que les dernières années avaient été caractérisées par un manque d’alternatives aux placements boursiers, Frederik Ducrozet estime que la hausse des coupons sur la dette d’entreprise offre désormais de réelles alternatives aux investisseurs.
Son de cloche identique chez La Financière de l’Echiquier, où le directeur de la gestion d’actifs Olivier de Berranger souligne être redevenu positif sur le crédit européen depuis le mois de juillet. “Nous avons renforcé les allocations sur cette classe d’actifs dans nos fonds diversifiés, ce qui a soutenu un redressement de nos performances sur ces produits. Nous pensons que cette classe d’actifs doit avoir une bonne place dans les portefeuilles en 2023.”
Il rappelle également que nous venons de traverser “la pire année sur le marché du crédit depuis la Seconde Guerre mondiale, avec des indices qui sont en repli de 15 à 25% selon les différentes maturités et risques de crédit”.
Ralentissement économique
Gaurav Chatley, gestionnaire de fonds chez M&G Investments, précise qu’il a longtemps été sous-pondéré sur le crédit aux entreprises. “Après la plus importante correction depuis plusieurs décennies sur cette classe d’actifs, le différentiel de taux avec les emprunts souverains s’est fortement écarté, et le consensus est clairement que l’Europe est en train d’entrer en récession. Nous pensons que le moment est aujourd’hui venu d’investir à nouveau sur la dette d’entreprise européenne car nous n’estimons pas que la récession sera aussi sévère qu’attendu, au vu de la bonne santé financière des entreprises et du marché de l’emploi.”
“Les entreprises saines n’auront aucune difficulté à rembourser leurs crédits, d’autant qu’elles ont généralement allongé fortement la maturité des dettes émises”, indique encore Olivier de Berranger. Alors qu’en 2008, les entreprises émettaient généralement à trois ans, elles ont émis ces dernières années sur des maturités beaucoup plus longues (10 ans) et sur des taux plus bas, et il n’y a plus aujourd’hui de grands volumes de dettes à refinancer à court terme. “Nous préférons néanmoins dans nos stratégies des émetteurs qui ne devront pas se refinancer sur les marchés en 2023”, dit-il.
Pour autant, Frederik Ducrozet estime qu’il ne faudra pas être trop pressé d’assister à une détente rapide des taux directeurs des banques centrales. “Le discours va vraisemblablement rester très agressif, mais les actes des grands argentiers devraient être moins perturbants pour les marchés financiers, avec une courbe des taux qui restera encore inversée pendant un bon moment.” Pour rappel, une courbe de taux inversée se produit lorsque les taux à court terme sont plus élevés que les taux à long terme sur le marché obligataire, ce qui constitue généralement un signe d’une économie en récession.
Haut rendement
Le maintien de cette posture plus agressive est également lié au manque de réaction que les banquiers centraux ont affiché durant l’année 2021, lorsqu’ils martelaient que la hausse de l’inflation allait être transitoire. “Les banques centrales doivent aujourd’hui retrouver une certaine crédibilité sur le marché”, soutient Olivier de Berranger.
Quant à savoir quel segment privilégier, Frederik Ducrozet pense qu’il faut éviter de devenir trop agressif, et d’allouer une part importante de son épargne vers la dette plus risquée (high yield ou dette à haut rendement, avec des notations BB+ et inférieure chez les grandes agences de notation). “Ce segment pourrait encore être mis sous pression, car il reste encore un potentiel de hausse pour les différentiels de taux par rapport aux crédits souverains”, explique-t-il.
Olivier de Berranger estime toutefois qu’un coupon de 6,5 à 8% sur la dette à haut rendement de notation BB avec des maturités de trois à cinq ans constitue une opportunité particulièrement intéressante. “Si l’inflation core ne s’emballe pas et retombe rapidement vers 3-4%, acheter de la dette qui va distribuer du 7-8% pendant cinq ans est fondamentalement une bonne idée. Les derniers mois ont permis de faire revenir la thématique du portage sur les marchés obligataires, à savoir acheter une obligation pour le coupon attractif qui sera distribué.”
Au niveau sectoriel, les différents stratégistes et gestionnaires apprécient plus particulièrement la dette subordonnée financière. Après la crise de 2008, de nombreuses contraintes ont été imposées au secteur bancaire, ce qui a permis de fortement augmenter sa résilience face aux chocs externes. Les rendements sur ce segment restent particulièrement attractifs en dépit de risques aujourd’hui fortement réduits. Gaurav Chatley pointe également “le secteur immobilier européen, qui a été trop lourdement impacté par la perception d’un impact très négatif de la hausse des taux obligataires sur leurs capacités de financement”.
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