Numismatique: qu’importe le métal pourvu qu’on ait la rareté et la qualité

Pièce belge de 10 francs - Frappée en 1912, elle n'a jamais circulé. Enchère : 6.500 euros. © PG

Le marché des monnaies anciennes suscite un intérêt accru depuis la crise financière de 2008-2009.

La maison bruxelloise Jean Elsen & ses Fils fait autorité en matière numismatique. En septembre, les collectionneurs ont très activement participé à sa première enchère publique opérée via Internet pour cause de Covid-19, avec 90% des lots vendus et des enchères ayant, en moyenne, dépassé les estimations de moitié. Par-delà ces résultats, quel regard portent ces spécialistes sur le marché des monnaies anciennes ? Quels sont leurs conseils ? Et surtout, quels sont les critères de valeur d’une pièce de monnaie ancienne ?

L’or est surtout plus rare

“La rareté et la qualité sont les éléments déterminants, tranche Philippe Elsen, cogérant de la maison avec son frère Olivier. On ne saurait par ailleurs passer sous silence la qualité de la gravure, qui peut faire d’une monnaie un petit chef-d’oeuvre artistique. Quand ces qualités sont réunies, il y a toujours des collectionneurs prêts à payer le prix, et ceci sur tous les segments du marché.” Par contre, l’ancienneté ne joue aucun rôle, pas plus que pour les oeuvres d’art. On en veut pour preuve cette pièce belge de 10 francs, frappée en 1912, et adjugée 6.500 euros le mois dernier, alors que plusieurs monnaies de la Grèce antique, quoi qu’en fort bon état, sont parties pour moins de 100 euros. La première était en or, il est vrai. Ce qui fait davantage rêver ?

2. Ducaton des Pays-Bas méridionaux Clou de la vente de septembre chez Jean Elsen et ses Fils, il s'est envolé à 165.000 euros.
2. Ducaton des Pays-Bas méridionaux Clou de la vente de septembre chez Jean Elsen et ses Fils, il s’est envolé à 165.000 euros.© PG

“Pas les collectionneurs, rectifie Philippe Elsen. Si les monnayages en or obtiennent globalement des cotes supérieures, c’est surtout parce qu’ils sont plus rares que les pièces en argent ou en bronze. Car pour un numismate passionné, le métal est presque sans importance.” Ce 10 francs à l’effigie d’Albert 1er était en réalité un essai et la pièce n’a donc pas circulé. Traduction : elle est à la fois très rare et en état neuf, c’est-à-dire de qualité “fleur de coin”.

On relève tout de même que la grande vedette de la vente du 18 septembre fut un ducaton de 1698 des Pays-Bas méridionaux, soit la Belgique alors espagnole, adjugé pas moins de 165.000 euros sur une estimation de 75.000 (photo 2). Une pièce impressionnante, pesant plus de 44 grammes et… elle aussi en or. Un hasard ? “C’est une pièce d’apparat, qui n’a jamais circulé et qui est donc comme neuve, explique Philippe Elsen. Ces monnaies étaient frappées en très petit nombre et distribuées à quelques dignitaires. Encore une fois, état et rareté étaient donc exceptionnels.”

Monnaies grecques pour trois fois rien

On ne saurait oublier un autre élément qui soutient les cotes : la provenance d’une collection prestigieuse. Celle de l’homme d’affaires bruxellois Robert Sussmeyer, par exemple, dont la superbe collection de monnaies grecques fut dispersée en 2007. On relève à ce sujet qu’il est fort rare que les enfants d’un collectionneur de monnaies anciennes partagent sa passion, observe Olivier Elsen. La collection est presque toujours dispersée par les héritiers ou, plus souvent même, par l’intéressé lui-même. Aussi vrai qu’il prend un certain plaisir à voir d’autres collectionneurs profiter de ses patientes recherches, que la vente soit anonyme ou qu’elle fasse l’objet d’une vacation dédiée, sous son nom. Sans doute préfère-t-il de toute manière garder la main, pour éviter que cette passion d’une vie ne soit dispersée de manière inadéquate.

3. Denier romain Courantes dans l'absolu mais fort rares en très bon état, les pièces romaines affichent des cotes très contrastées. Ce portrait de César a trouvé preneur à 10.000 euros.
3. Denier romain Courantes dans l’absolu mais fort rares en très bon état, les pièces romaines affichent des cotes très contrastées. Ce portrait de César a trouvé preneur à 10.000 euros.© PG

Les pièces très anciennes ont, elles, souvent souffert du temps. Elles se sont usées, leur décor est devenu moins lisible. Ou sont restées enterrées pendant des siècles, voire 2.000 ans, et ont subi un brossage très vigoureux lors -de leur découverte, complète Roselyne Dus, experte en monnaies antiques. Ceci explique des cotes parfois faibles. Cas extrême : un lot de 64 pièces du royaume de Macédoine, datant du 4e siècle avant J.-C. et adjugé 180 euros à peine. On peut donc entamer une collection de pièces antiques avec un très petit budget ! L’état fera souvent une grande différence pour les pièces très anciennes, insiste-t-elle. Nombre de deniers et sesterces romains sont relativement communs. En excellent état par contre, ils sont vraiment rares et leur cote peut alors s’envoler. Ainsi un denier au portrait de Jules César (photo 3), qualifié de “superbe”, s’envola-t-il à 10.000 euros, le quadruple de son estimation.

4. Quart de statère Originaire de la Gaule belgique, cette pièce a trouvé acquéreur pour 11.000 euros.
4. Quart de statère Originaire de la Gaule belgique, cette pièce a trouvé acquéreur pour 11.000 euros.© PG

Regain d’intérêt après la crise

Le marché des pièces de monnaies est fort stable, observent nos interlocuteurs. En Belgique, il s’appuie sur quelques milliers de collectionneurs passionnés et assidus. Si leur cercle ne s’élargit guère, par contre, ils sont plus actifs depuis la crise de 2008, observe Philippe Elsen. Car même si la plupart d’entre eux ne raisonnent guère en termes d’investissement, les monnaies leur sont alors visiblement apparues comme plus fiables que d’autres achats ! Il existe par ailleurs des effets de mode, comme sur tous les marchés, explique Roselyne Dus. On observe parfois un plus grand appétit pour les pièces en argent, tandis qu’à un autre moment, le bronze a davantage les faveurs. Ceci reste toutefois assez marginal et sans effet notable sur les cotes.

5. Aureus gaulois A l'effigie de Postumus, cette pièce qui fit sensation parmi les collectionneurs a atteint les 230.000 euros en 2013.
5. Aureus gaulois A l’effigie de Postumus, cette pièce qui fit sensation parmi les collectionneurs a atteint les 230.000 euros en 2013.© PG

Par contre, des évolutions de prix plus spectaculaires ont naguère touché les monnaies russes et chinoises. On sait que l’avènement des oligarques russes a, à partir des années 1990, eu un impact sérieux sur le marché de l’art, ces nouveaux milliardaires se faisant un devoir de jouer les mécènes en rapatriant peintures, icônes et autres oeufs de Fabergé. Ce fut également le cas pour les monnaies. Les prix ont dès lors grimpé mais, avec les mesures prises voilà une dizaine d’années pour enrayer la fuite des capitaux, ils se sont ensuite tassés de 20 à 30%. Un phénomène du même genre a touché les monnaies chinoises, mais leur cote résiste davantage.

Y a-t-il des segments du marché un peu boudés par les numismates et dont la cote ne refléterait dès lors pas la rareté ?

Pièces ingrates et cotes modestes…

On pourrait citer les petits deniers du haut Moyen Age, soit de la période allant grosso modo de 800 à 1200. Ce sont les “temps sombres” (Dark Ages), comme disent les Anglo-Saxons. On assiste à une raréfaction des métaux – l’or est abandonné – et à une forte baisse de la qualité des frappes monétaires. Circulent alors de très petites pièces, assez difficiles à étudier. C’est donc un domaine un peu ingrat. Certes, il a ses passionnés, prêts à débourser plusieurs milliers d’euros pour une pièce rare et de très bonne qualité. Mais une monnaie du même niveau qualitatif pourrait se négocier 10.000 ou même 20.000 euros dans d’autres segments du marché, plus populaires auprès des collectionneurs. Par exemple le Moyen Age classique qui suit, marqué par le retour de l’or et de monnaies plus esthétiques. Notamment au travers d’un monnayage de propagande, à la romaine, avec la représentation du roi sur son trône ou menant ses troupes.

90% : pourcentage des lots et enchères ayant dépassé les estimations de moitié lors de la première vente publique sur Internet de la maison spécialisée belge Jean Elsen & ses Fils.

Les pièces de la Gaule belgique souffrent elles aussi d’un intérêt assez mitigé, souligne Roselyne Dus, car elles sont malaisées à identifier, d’autant qu’elles ne portent aucune mention. Il est souvent nécessaire de savoir où elles ont été trouvées pour approcher la vérité. Un très rare quart de statère datant du 2e siècle avant J.-C. a même été vendu 2.200 euros à peine le 18 septembre, en dessous de son estimation de 2.500 euros.

… pièce exceptionnelle et cote fiévreuse

Une pareille modestie n’est toutefois pas une fatalité. Ainsi, estimé 500 euros, un autre quart de statère a finalement trouvé preneur pour 3.000 euros. Sans doute son état, qualifié de superbe, a-t-il joué à fond. Que penser enfin de ce troisième quart de statère (photo 4), deux grammes d’or ? Il fut adjugé 11.000 euros en mars, à plus du double de son estimation. D’un côté, cette cote semble indiquer un réel intérêt pour les monnaies “belges” antiques. De l’autre, ce n’est pas vraiment délirant pour une pièce considérée comme unique…

Il est vrai aussi que la Gaule s’était particulièrement distinguée en 2013, lorsqu’un aureus à l’effigie du (faux) empereur gaulois Postumus s’envola à 230.000 euros ! (photo 5) Une pièce de petite dimension, mais en or et présentant une qualité de gravure exceptionnelle. Elle a d’autant plus aisément suscité la convoitise des collectionneurs qu’il s’agissait d’un exemplaire unique, totalement inconnu jusque-là. Varié, le monde des pièces anciennes n’est pas figé !

Anvers assiégée ?

Quelques pièces dispersées à la vente de septembre ne peuvent manquer de retenir l’attention : les “monnaies obsidionales du siège d’Anvers” frappées au début du 19e siècle. De quoi s’agit-il ? Le siège d’une ville durait parfois plusieurs années, ce qui finissait par poser un problème de numéraire. Pour continuer à payer ses troupes et ses fournisseurs, la cité réquisitionnait alors les métaux disponibles et frappait des pièces spécifiques, souvent très différentes de celles en vigueur en temps ordinaires. On en a, dans nos contrées, frappé à Maastricht, Breda, ou encore Tournai, au 18e siècle et surtout au 17e. Affichant le nom de Louis XVIII ou celui de Napoléon, les pièces anversoises (photo 6) sont en réalité d’une nature un peu différente. Il s’agit plutôt d’un monnayage local, une autre pratique relativement courante.

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6. “Monnaie obsidionale ” anversoise Un segment de marché inattendu…© PG

Pour remédier au manque de numéraire, le gouverneur de la ville décida la frappe de monnaies de 5 et 10 centimes entre début mars et début mai 1814. Un amusant thème de collection ? En effet. A preuve : dispersée en 2006 par la maison Elsen, la collection de l’homme d’affaires américain Lasser était entièrement axée sur ce thème.

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