Nouvelle loi pour lutter contre le surendettement: “Les créanciers ont plus de chances de récupérer leur argent”
Patrick Van Buggenhout, fondateur de MyTrustO, se réjouit de la nouvelle loi contre le surendettement : celle-ci oblige les huissiers à recourir d’abord à la médiation avant d’entamer une procédure judiciaire (au coût souvent prohibitif). Malgré tout il y a encore des progrès à faire. “Si l’on s’attaquait aux problèmes de surendettement beaucoup plus tôt, on aurait besoin de moins de frais. Notre société est suffisamment riche pour ne pas donner une chance à la pauvreté”.
La semaine dernière, le Parlement a adopté une loi visant à réduire le nombre de personnes convoquées pour ne pas avoir payé une ou des facture(s). Désormais, les huissiers devront entamer une médiation avant de lancer une procédure judiciaire très coûteuse. “C’est la troisième loi sur le sujet en peu de temps”, déclare Patrick Van Buggenhout, huissier, qui a commencé sa mission il y a neuf ans pour changer radicalement la manière dont les dettes sont recouvrées.
Une loi sur le recouvrement des créances était déjà entrée en vigueur le 1er septembre 2023. Elle stipule que le premier rappel d’une facture impayée doit être gratuit. Après un rappel électronique ou un rappel par lettre, le débiteur disposera respectivement de 15 ou 17 jours pour payer la facture en question. Ce n’est qu’après l’écoulement de ce délai que des pénalités peuvent être réclamées. De plus, cette loi limite également les pénalités et intérêts pour les factures impayées ou payées en retard. Le 2 mai, le Parlement a également donné son feu vert à l’ajout dans le code de droit économique de la médiation de dettes à l’amiable. “Cette loi précise ce qu’est la médiation de dettes, qui est compétent et comment elle doit se dérouler”, a expliqué M. Van Buggenhout.
“Désormais, le juge de paix est seul compétent pour les factures scolaires et hospitalières impayées, comme c’est déjà le cas depuis un certain temps pour les services publics et les télécommunications”, explique M. Van Buggenhout. “En outre, les huissiers de justice doivent désormais essayer de trouver une solution sans frais de justice supplémentaires.
“Un travail énorme a été réalisé en un an et demi par les cabinets concernés, les partis majoritaires, les acteurs de terrain et le Parlement, où, soit dit en passant, aucune opposition n’a été enregistrée. En d’autres termes, ces nouveaux changements législatifs bénéficient d’un très large soutien”, estime M. Van Buggenhout.
“Beaucoup de choses bougent au niveau politique”, affirme également Frédéric Vandenhende, qui a remporté un Trends Impact Award l’année dernière avec son application financière ROOV. En effet, avec l’appli Roov, la société gantoise Augias Corp entend aider les personnes endettées à garder une vue d’ensemble sur leurs finances dans le cadre d’une médiation de dettes. L’appli présente aussi des avantages pour les médiateurs et les créanciers.
Incapable de rembourser ou simplement réticent ?
“Il faut pouvoir repérer le plus tôt possible les personnes qui ne peuvent pas payer leurs dettes – temporairement ou structurellement – de celles qui ne veulent pas payer”, estime M. Van Buggenhout. Une personne sur dix en retard de paiement ne peut tout simplement pas rembourser toutes ses dettes, sous peine de ne plus avoir assez pour vivre. Environ la moitié des débiteurs peuvent rembourser leurs dettes, mais pas en une seule fois.
Van Buggenhout a cofondé MyTrustO en 2015. Il propose une alternative à la manière traditionnelle de travailler avec un huissier, un avocat ou une agence de recouvrement. “Ils partent toujours des créanciers, alors que nous pensons qu’il faut partir de la réalité des débiteurs”, explique-t-il. Avec MyTrustO, l’huissier de justice dresse un bilan financier de tous les revenus, dépenses et dettes du débiteur et propose ensuite aux créanciers un plan de remboursement réaliste et complet.
Lorsque les gens doivent faire face à des frais de justice et d’huissier de plus en plus élevés, ils se retrouvent dans une spirale sans fin. “Dans notre philosophie, un maximum de 55 euros par mois de frais de fonctionnement est ajouté pour les personnes qui veulent centraliser leurs dettes. S’ils se déchargent de 1.000 euros mensuellement via l’huissier MyTrustO, ils purgent leurs dettes d’au moins 945 euros par mois. À l’inverse, dans le modèle juridique classique, sur ces 1.000 euros, peut-être 300 à 400 euros sont consacrés réellement au remboursement des dettes et le reste part en frais administratifs et de recouvrement”.
Finalement, 40 % peuvent rembourser leurs dettes, mais refusent de le faire. Pour ces derniers, les huissiers doivent continuer à suivre la voie classique avec une saisie sur salaires et la saisie des meubles et des voitures si nécessaire.
Le chemin inverse
“Aujourd’hui, chaque créancier s’adresse séparément à un huissier de justice “, explique M. Van Buggenhout. “MyTrustO cartographie toutes les dettes à la demande du débiteur et contacte tous les créanciers, en inversement le chemin, en d’autres termes. De cette manière, nous pouvons également tranquilliser les créanciers et même gagner du temps. Nous nous rendons au domicile des personnes afin d’examiner leur situation financière dans son ensemble et nous recueillons toutes les attestations relatives aux revenus, telles que les salaires, les allocations familiales et les loyers.
“Si les huissiers ont l’habitude de saisir 30 fois par jour, avec la nouvelle législation, ce ne sera peut-être plus que trois fois. Chez MyTrustO, les débiteurs sont aussi importants que les créanciers. De nombreux créanciers profitent également de notre méthode de recouvrement alternative parce qu’ils ont une bien meilleure chance de percevoir leur argent à temps. Les créanciers sont nos meilleurs ambassadeurs. Ils peuvent également être les meilleurs conseillers pour les personnes endettées”.
MyTrustO affirme gagner des parts de marché. “Nous pouvons démontrer notre succès, par exemple, avec les centaines d’écoles qui s’adressent à nous pour leurs factures scolaires impayées”, déclare M. Van Buggenhout. “Les créanciers ont déjà récupéré des dizaines de milliers de factures impayées grâce à cette nouvelle philosophie, sans qu’une convocation au tribunal ne soit nécessaire. Tout huissier de justice peut jouer le rôle de médiateur à notre manière, mais ils ne le font pas jusqu’à présent. Il existe aussi des avocats médiateurs. Les personnes peuvent également s’adresser au CPAS ou à un centre d’aide sociale générale”.
Pour l’instant, MyTrustO ne fonctionne qu’en Flandre et dans la région bruxelloise. “Nous n’avons pas encore franchi le pas pour aller vers la Wallonie, il y a aussi un très fort intérêt de la part des Pays-Bas, où la même philosophie est en plein essor. »
Règlement collectif de dettes
Pour les personnes fortement endettées, le règlement collectif des dettes est la dernière bouée de sauvetage. Au cours des trois premiers mois de cette année, 2.452 nouvelles demandes de règlement collectif de dettes ont été déposées, soit près de 3% de plus qu’au cours de la même période en 2023. Au total, près de 53.000 personnes bénéficient d’un plan de règlement collectif de dettes. Les personnes ne peuvent bénéficier d’un tel plan que si elles sont dans l’incapacité de rembourser leurs dettes dans un délai raisonnable.
Pour obtenir un règlement collectif de dettes, les personnes peuvent s’adresser au CPAS ou à un avocat. Si la demande est acceptée, le juge désignera un médiateur qui tentera d’établir un règlement, soit à l’amiable, soit par le biais des tribunaux. “Je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait une procédure, car les personnes endettées bénéficieront d’une protection judiciaire et de conseils professionnels et pourront rebondir après sept ans”, a déclaré Frédéric Vandenhende, PDG et fondateur d’Augias Corp (ROOV).
Toutefois, l’inconvénient majeur d’un tel système est que les salaires et les prestations doivent être déposés sur le compte du médiateur de dettes. Dans le cadre d’un règlement collectif de dettes, ce dernier donne une allocation de subsistance aux personnes qui ont fait appel à ce système. Les personnes perdent le contrôle. De plus, elles ne savent pas toujours ce qu’il advient exactement de leurs revenus. Vandenhende a voulu remédier à cette situation. Il a obtenu une licence PSD2 pour son application ROOV en 2021, ce qui permet, avec le consentement des clients, de collecter des données provenant de différents comptes courants de différentes banques dans une seule application. Vandenhende : “Cela permet aux avocats d’assurer la transparence et l’accès aux comptes gérés par les intermédiaires.”
Une économie mieux gérée
“L’avantage pour les créanciers est un meilleur remboursement des dettes”, explique M. Vandenhende. “Pour les médiateurs de dettes, il y a aussi des avantages. Ils peuvent travailler plus efficacement parce qu’ils peuvent automatiser ou faciliter un grand nombre de tâches grâce à l’application. Nous comptons déjà plus de 80 cabinets d’avocats parmi nos clients et avons numérisé plus de 6.000 dossiers. Nous avons récemment signé notre premier client à Liège, l’un des plus grands administrateurs de Wallonie.
M. Vandenhende aimerait aller beaucoup plus loin dans l’automatisation du travail des médiateurs de dettes, afin qu’ils aient plus de temps pour communiquer avec leurs clients. “Les médiateurs de dettes doivent rendre des comptes par le biais d’une application gouvernementale, ce qui implique beaucoup de travail manuel. ROOV pourrait fournir ce rapport automatiquement et prêt à l’emploi, mais l’administration ne peut pas le recevoir pour l’instant. Cela fait deux ans que j’en discute avec JustRestart, le registre central des règlements collectifs de dettes de l’Ordre des barreaux flamands, mais le changement et la numérisation prennent du temps.
Il note également qu’il y a encore beaucoup trop de travail administratif dans les institutions publiques telles que les CPAS, un travail administratif qui pourrait être automatisé. “Il y a beaucoup de rotation du personnel. Il y a des listes d’attente. Grâce à l’automatisation, ce personnel pourrait offrir une oreille beaucoup plus attentive”.
Pour M. Van Buggenhout, la numérisation est avant tout un moyen pratique et non une fin en soi. “La solution devrait surtout venir d’une vision différente. Notre société est suffisamment riche pour ne pas donner de chance à la pauvreté. Si l’on s’attaquait aux problèmes beaucoup plus tôt, on aurait besoin de moins de dépenses, moins de personnes tomberaient malades physiquement ou mentalement, il y aurait beaucoup moins d’absentéisme au travail, les enfants bénéficieraient d’une meilleure éducation et de meilleures opportunités, etc. Une partie de ces dépenses serait récupérée grâce à une meilleure gestion de l’économie mieux gérée et donc à des recettes fiscales plus élevées”.
Le problème de l’endettement en chiffres
805 000 Belges sont menacés de pauvreté, avec un revenu moyen inférieur au seuil de pauvreté de 1 450 euros pour une personne seule ou de 3 045 euros pour une famille composée de deux adultes et de deux enfants.
263 702 Belges sont en retard dans le remboursement d’au moins un crédit, ce qui représente 4,3 % de l’ensemble des crédits en cours. C’est ce que révèlent les chiffres de la Centrale des Crédits Individuels.
43.000 Belges, à l’exclusion des personnes en situation de règlement collectif de dettes, ont besoin d’aide pour gérer leurs finances et établir un plan de remboursement de leurs dettes d’ici fin 2022, selon un rapport de Steunpunt Mens en Samenleving (SAM).
139 737 cas de tutelle ont été enregistrés dans le registre central de protection des personnes en 2023. Les personnes sont sous tutelle parce que leur état de santé les empêche de gérer leur argent ou de veiller sur leurs intérêts.
M. Vandenhende souhaite également un changement de vision. “Au lieu de nous concentrer sur la résolution des problèmes lorsque tout a déjà mal tourné, nous ferions mieux de nous concentrer sur l’identification proactive de ces problèmes. Ce serait une façon de travailler beaucoup plus durable et cela signifierait également moins de travail pour les travailleurs de l’aide à l’endettement et beaucoup moins de coûts supplémentaires. Mon père s’est suicidé en 2010 parce qu’il ne pouvait pas voir au-delà de la montagne de dettes après la faillite de son entreprise”, explique M. Vandenhende à propos de sa motivation personnelle. “L’application contient également des notifications qui avertissent lorsqu’il n’y a pas assez d’argent sur un compte pour les factures à venir. Nous préférons faire de la prévention et être le détecteur de fumée plutôt que les pompiers”.
Éducation financière
Vandenhende sait mieux que quiconque comment les gens peuvent s’endetter. Il estime que de moins en moins de personnes savent gérer l’argent et que la situation évolue de plus en plus dans le mauvais sens. “Il y a une explosion du nombre de personnes qui ont des problèmes financiers, à cause d’un burn out, d’une dépression, de la drogue ou d’une vie trop stressante. Les gens achètent toutes sortes de choses à tempérament.
Au moindre pépin, ils se retrouvent dans une mauvaise passe financière. Si mon portable tombait en panne, j’achèterais une babiole à 10 euros et j’économisais pour un modèle plus cher. Aujourd’hui, les jeunes achètent des smartphones à 1 000 euros à crédit et paient des centaines d’euros d’intérêts”.
M. Vandenhende préconise donc de renforcer l’éducation financière dans les écoles. “En Scandinavie, une semaine par an est consacrée au budget, aux impôts et aux investissements. En Belgique, on n’y accorde pas assez d’attention. Le gouvernement devrait lancer une grande campagne de sensibilisation, avec des cours en ligne gratuits et des récompenses.
Pour M. Van Buggenhout, c’est surtout le phénomène du nombre croissant de célibataires et de familles monoparentales qui est à l’origine de l’augmentation des problèmes d’endettement. “Avec un seul revenu, il est difficile de payer le loyer et toutes les autres nécessités de la vie. S’il faut en plus rembourser des dettes, la situation devient très précaire.”
Sans tabou
Les personnes peuvent s’adresser à un CPAS ou à un par exemple pour obtenir des conseils budgétaires : pour que quelqu’un regarde par-dessus son épaule, et l’aide à gérer son budget, autrement dit pour qu’un gestionnaire de budget prenne en charge le paiement des factures, ou pour une médiation de dettes, si les dettes sont encore gérables.
Selon Steunpunt Mens en Samenleving (SAM), les individus attendent souvent trop longtemps avant de franchir le pas et de demander une aide pour les aider à sortir de leur endettement… En premier lieu, ils tentent de rembourser leurs dettes en contractant de nouveaux emprunts ou en empruntant à leurs amis et à leur famille, ce qui aggrave souvent leur situation financière. Van Buggenhout : “Le gouvernement devrait veiller à ce que l’allégement des dettes soit plus accessible. Les gens ont toujours honte de s’adresser au CPAS. Chez MyTrustO, heureusement, il n’y a pas ce tabou”.
Une prison mentale
La solution du règlement collectif des dettes se fait également attendre depuis longtemps. “Il existe encore un projet de loi prêt pour la prochaine législature, qui permettrait au tribunal du travail d’imposer une procédure de réduction des dettes par jugement”, explique M. Van Buggenhout. “Il suffirait alors d’un accord de la majorité des créanciers, qui représentent également plus de la moitié des dettes impayées, pour obliger les créanciers restants à accepter un règlement.”
Il s’agit d’une version allégée du règlement collectif de dettes, dans laquelle les personnes ne doivent plus remettre leurs revenus au médiateur. Pour M. Van Buggenhout, le règlement collectif de dettes tel que nous le connaissons aujourd’hui est “une prison mentale, dans laquelle personne n’est heureux”. À l’avenir, il aimerait y remédier.
ROOV tient un tableau de bord pour l’investisseur d’impact Trividend, qui a investi de l’argent au début de l’année dernière. “Pour l’instant, il mesure principalement le nombre d’heures de travail économisées dans les cabinets d’avocats”, explique Frederik Mattijs, directeur de Trividend. “Nous pensons que ROOV offre une solution pour empêcher les gens de s’endetter de plus en plus. Pour les personnes ayant des problèmes d’endettement, il peut s’agir d’un moyen de s’en sortir rapidement. Ils ne sont généralement pas très au fait de l’administration et, grâce à l’application, tout est simplifié.” En moyenne, ROOV permet d’économiser 4 à 6 heures par avocat, ce qui peut être utilisé pour offrir davantage de services aux clients.
“À l’avenir, nous voulons également mesurer si le comportement des personnes qui utilisent l’application change. L’idée est d’utiliser l’intelligence artificielle pour faire des prédictions sur les dépenses. Par exemple, une famille avec des enfants pourrait recevoir une alerte indiquant qu’il y aura des dépenses supplémentaires pour l’école en septembre. Des suggestions peuvent être faites pour ajuster certains de paiement d’économiser davantage. En cas de dépenses imprévues, les tuteurs professionnels seront avertis de manière proactive afin qu’ils puissent assurer un suivi.
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