Les banques et le tourisme se remettront-ils du coronavirus ?
Très loin des records du Nasdaq, le secteur bancaire et l’industrie du tourisme restent à la traîne en Bourse. Gare, toutefois, à ne pas confondre action bon marché et bonne affaire.
Si les Bourses ont globalement récupéré l’essentiel de leurs pertes liées à la crise du coronavirus, les fortunes sectorielles demeurent très diverses. Du côté des gagnants, on retrouve incontestablement les valeurs technologiques à l’image du Nasdaq qui a même atteint de nouveaux records cet été. Les principaux perdants sont par contre clairement les banques et le secteur du tourisme qui peinent à rebondir. Faut-il y voir une opportunité ou, au contraire, les marchés ont-ils raison d’éviter ainsi ces deux secteurs ? Nous faisons le point.
Pertes considérables pour le secteur touristique
Cet été, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) estimait la perte du secteur touristique liée à la crise du coronavirus à 1.200 milliards de dollars pour quatre mois d’inactivité. La Cnuced précisait également que le manque à gagner atteindrait 3.300 milliards en cas d’interruption du tourisme mondial pendant 12 mois jusqu’en mars 2021. Un scénario qui semble malheureusement se concrétiser en grande partie, la deuxième vague de contaminations a en effet provoqué le durcissement des mesures sanitaires.
Le pessimisme est d’ailleurs de mise parmi les compagnies aériennes qui ont réduit leurs capacités pour cet automne les unes après les autres comme le constatait début septembre Guillaume Faury, PDG d’Airbus. “La situation s’est dégradée, les compagnies aériennes sont dans une situation plus difficile après les vacances que ce qu’on espérait”, explique-il. Les perspectives de reprise à moyen terme restent ainsi très mitigées entre le flygskam (la honte de voler pour des motifs environnementaux) et le maintien de mesures de distanciation physique à moyen terme, particulièrement coûteuses dans le secteur aérien. L’Association internationale du transport aérien (Iata) a ainsi estimé que la distanciation stricte à bord des avions limiterait la capacité maximale à 62%, loin du seuil de rentabilité de 77%.
Ceci est de mauvais augure pour l’ensemble du secteur touristique, le transport aérien servant traditionnellement de baromètre. D’une part, les compagnies aériennes sont présentes en nombre au sein de l’indice sectoriel ( voir le tableau “Composition de l’indice Stoxx 600 Voyage et loisirs”). D’autre part, les touristes arrivant par avion sont cruciaux pour les groupes actifs dans l’horeca ou les exploitants de casino également représentés au sein de l’indice.
Perspectives à long terme
Faut-il en conclure que l’investisseur a tout intérêt à éviter le secteur du voyage et des loisirs ? Tout d’abord, ne perdons pas de vue que des sociétés innovent dans toutes les industries à l’image d’Evolution Gaming Group. L’entreprise suédoise conçoit des jeux en ligne, comme les casinos en direct, et a plus que doublé en Bourse depuis le début de l’année.
2.100 milliards de dollars, les pertes mondiales sur crédits des banques pour 2020 et 2021, selon Standard & Poor’s.
Sur Wall Street, Booking Holdings (booking.com, Kayak, Priceline, etc.) a limité ses pertes cette année (- 15%) et Airbnb s’apprête à réaliser une entrée triomphante en Bourse. Les pertes de Ryanair sont également contenues à moins de 20% alors qu’easyJet, Air France KLM ou IAG ont plongé de 55% à 85%.
Même si les perspectives à court terme sont négatives pour tous les acteurs, les investisseurs restent en effet confiants dans le développement à long terme du tourisme. En début d’année, l’Organisation mondiale du tourisme des Nations unies prévoyait ainsi que le secteur continuerait à croître plus rapidement que l’économie mondiale, le nombre de touristes internationaux ayant augmenté de 4% par an au cours des dernières années. Ce secteur profite de différentes tendances comme le développement de la classe moyenne mondiale, le vieillissement de la population (davantage de retraités) ou l’engouement des milléniaux pour les expériences (loisirs) plutôt que les objets.
Evidemment, le tourisme évolue vers une plus grande diversification des destinations (y compris plus proches), la désintermédiation des tour-opérateurs, etc. Des tendances dont devraient profiter structurellement les acteurs en ligne comme Booking ou Airbnb. Dans le transport aérien, Ryanair pourrait bénéficier de la disparition de concurrents, ce qui réduirait la pression sur les prix. Ryanair fait en effet partie des compagnies les plus solides financièrement et a déjà démontré qu’elle pouvait profiter de la cyclicité de l’industrie. Notamment en passant de grosses commandes d’avions en période de crise, ce qui lui permet bénéficier de remises conséquentes.
Le début de la crise pour le secteur bancaire
Alors que de nombreux secteurs tablent sur une reprise progressive de l’activité au cours des 12 prochains mois, les banques s’apprêtent à affronter les conséquences de la crise. Les mesures de soutien et de gel des faillites ont en effet temporairement reporté le problème. Mais les banques doivent désormais faire face à une vague de faillites et de créances douteuses engendrant d’importantes pertes sur crédits. Au niveau mondial, ces pertes sur crédits devraient atteindre 2.100 milliards de dollars en 2020 et 2021 selon Standard & Poor’s.
La crise du coronavirus a aussi affecté la rentabilité structurelle du secteur bancaire, surtout en Europe où les établissements sont plus actifs dans la banque de détail classique (lever l’épargne et octroyer des crédits). Afin de soutenir l’économie, les banques centrales ont encore assoupli leur politique monétaire, reportant toute perspective de remontée des taux de plusieurs années. La courbe des taux est ainsi particulièrement plate, ce qui affecte directement les banques. En effet, leur marge d’intérêts est notamment basée sur l’écart entre les taux à long terme (octroi de crédits) et à court terme (lever l’épargne, financements auprès de la banque centrale, etc.).
Le secteur bancaire devrait ainsi connaître une longue traversée du désert selon Standard & Poor’s. Globalement, l’agence américaine estime qu’il ne retrouvera son niveau de rentabilité d’avant la crise du coronavirus que fin 2023 en Europe et aux Etats-Unis.
Au plus bas depuis 1987
Une perspective bien sombre pour un secteur qui vient déjà de connaître des années difficiles à cause des taux bas, l’obligeant même à payer (taux négatif de -0,5%) pour placer ses excédents de liquidités auprès de la Banque centrale européenne (BCE).
En Bourse, la chute liée au coronavirus a ramené l’indice Stoxx 600 des banques européennes à son niveau de 1987, soit 33 ans en arrière, et plus bas qu’en mars 2009. La demande de la BCE de suspendre les dividendes (et les rachats d’actions) au moins jusqu’à la fin de cette année a en effet privé les actions bancaires de leur dernier atout : un rendement récurrent.
La valeur boursière des banques européennes a ainsi sombré. BNP Paribas, première banque de la zone euro en termes de capitalisation, vaut 38 milliards d’euros à l’heure d’écrire ces lignes, bien moins qu’Adyen (49 milliards), la fintech néerlandaise spécialisée dans les paiements.
Fondamentalement, les valeurs sont donc excessivement bon marché. Mais les perspectives, même à long terme, restent pour le moins incertaines. D’une part, les taux bas risquent de perdurer encore longtemps. D’autre part, de nouveaux acteurs comme N26 ou Revolut accentuent la concurrence.
Le secteur bancaire est ainsi un des plus délaissés. Les stratégistes ABN Amro, JP Morgan, Pictet, RBC Capital Markets ou Nomura font partie des nombreux observateurs à avoir conseillé de sous-pondérer les financières récemment, tant en Europe ou aux Etats-Unis.
Le pétrole dans le doute aussi
Le troisième grand perdant de 2020 est le secteur pétrolier. Le Stoxx 600 Pétrole et Gaz affiche ainsi un recul de 42% depuis le début de l’année, comme les banques européennes. Les perspectives de redressement sont aussi mitigées. Le prix du pétrole ne parvient pas à rebondir alors que la consommation reste sous pression. L’excédent de production a gonflé les stocks qui freineront inévitablement les prix quand la demande se normalisera. Le plus inquiétant pour le secteur est toutefois la perspective d’un pic de la consommation de brut. L’Agence internationale de l’énergie prévoit désormais une baisse de la demande de l’ordre de 8,4 millions de barils par jour cette année avec un rebond de seulement de 5,5 millions en 2021.
Pour Bernard Loomey, CEP de BP, le déclin du pétrole est même proche. Le géant pétrolier britannique BP estime que la demande devrait atteindre un pic avant 2025, voire ne pourrait jamais revenir à son niveau de 2019 si les gouvernements se montrent plus intransigeants dans les politiques de réduction des émissions de CO2. Pour le secteur pétrolier, l’avenir est ainsi dans l’énergie, un défi face auquel les majors européennes sont mieux positionnées. Total, Shell ou BP produisent déjà davantage de gaz que de pétrole et ont investi davantage dans les autres sources d’énergie qu’Exxon Mobil ou Chevron.
Les premières victimes risquent toutefois d’être les compagnies parapétrolières, plus dépendantes de l’exploration de nouveaux gisements, comme Vallourec en pleine restructuration financière.
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