Le pétrole au centre d’une nouvelle crise financière ?
L’intervention de l’OPEP a fait rebondir le prix du pétrole mais l’organisation risque de la sorte d’avoir précipité une chute inévitable. Cap sur un nouveau désastre annoncé de 3400 milliards de dollars.
Après avoir longtemps joué au chat et à la souris, la Russie et la plupart des membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) sont parvenus à un accord pour réduire leur production de brut à la fin de l’année dernière. Derrière leurs dissensions géopolitiques, l’Arabie Saoudite et la Russie s’étant notamment alliés à des camps opposés en Syrie, tous ces pays souffraient d’un même mal : la chute du prix du pétrole dégradait l’état des finances publiques. L’Arabie Saoudite a ainsi arrêté sa lutte acharnée contre le pétrole de schiste américain après avoir subi un déficit cumulé de près de 30% de son Produit intérieur brut (PIB) en 2015-2016. La remontée du cours de l’or noir a même permis à Riyad d’envisager de nouvelles dépenses en 2017 après deux années d’austérité.
La production US repart
Cette victoire apparente risque toutefois d’avoir coûté la guerre à l’OPEP. La chute des prix a en effet forcé les spécialistes du pétrole de schiste américain à rationaliser leurs coûts. Le récent rebond des cours à plus de 50 dollars le baril -contre plus de 100 dollars jusqu’à l’été 2014- a ainsi suffi à relancer l’exploration de gisements comme en atteste la progression de 84% du nombre de forages pétroliers aux États-Unis depuis fin mai. Avant même que Donald Trump ne facilite l’exploration d’hydrocarbures. Les analystes comme l’Agence internationale de l’Énergie prévoient ainsi d’ores et déjà une reprise de la production de brut aux États-Unis dès cette année, tendance qui s’accélérera dès 2018. On observe dans la foulée un renversement complet des courbes de prix sur le marché pétrolier, les contrats pour fourniture de pétrole en 2018 étant devenus (légèrement) moins chers que les 2017.
Les victimes se multiplient
Ce phénomène qualifié de backwardation est en lui-même déjà désastreux pour de nombreuses sociétés. En 2015-2016, de grands groupes pétroliers comme BP ou Total, de même que des négociants spécialisés comme Vitol, ont engrangé des gains substantiels en stockant du brut revendu à terme, le marché pétrolier se trouvant alors en situation de contango : les contrats pour livraison ultérieure étant sensiblement plus onéreux. Cette perte des gains de trading explique les résultats trimestriels décevants de BP mais également la prudence d’Euronav chez nous. Le spécialiste du fret pétrolier a profité de la spéculation pétrolière, louant ces dernières années des tankers utilisés comme stockage en mer. Ce qui n’est plus du tout rentable désormais.
Coup de grâce ?
Pour ces groupes comme pour l’OPEP ou la Russie, un autre danger est encore plus menaçant. Les analystes de Goldman Sachs ont épinglé que la consommation d’essence avait reculé de 460 000 barils par jour en janvier aux États-Unis, “un recul d’une ampleur uniquement observée en période de récession”. En Chine également, le rythme de croissance de la consommation de produits pétroliers ralentit rapidement : +3,8% en 2014, +3,1% en 2015, +2,5% en 2016. Le ralentissement de la conjoncture n’y est évidemment pas étranger. Cependant, ces chiffres posent également la question de la dépendance de l’économie mondiale au pétrole. Elle a été divisée par 3 depuis 1990 et la perspective d’un boum des voitures électriques relance le débat sur un pic de la consommation mondiale de pétrole. Jusqu’à présent, le parc de voitures électriques reste limité, ayant représenté 550 000 véhicules écoulés en 2015, moins d’un pour cent des ventes mondiales. Mais la technologie est à un tournant avec la chute du prix des batteries et le groupe Volkswagen planifie par exemple d’écouler 3 millions de voitures électriques par an d’ici 2025, soit un quart de ses ventes totales. Les spécialistes de Bloomberg New Energy Finance ont évalué que la motorisation électrique réduira la consommation mondiale de brut de 13 millions de barils par jour à l’horizon 2040.
Des conséquences financières gigantesques
La principale victime serait évidemment l’industrie pétrolière, une baisse persistante de la consommation étant de nature à déséquilibrer durablement le marché et à comprimer les prix. Les analystes de Fitch soulignent également que de nombreux acteurs pourraient également être fragilisés dans les secteurs des utilities (production d’électricité notamment) et automobiles. Des sociétés dépendantes des hydrocarbures qui représentent l’équivalent de 3400 milliards de dettes d’entreprises, un quart du marché mondial et autant que les dépréciations actées par les banques durant la crise du subprime.
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