Investir selon les principes de l’Islam

Mohamed Ouaamari
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Les musulmans peuvent investir, mais pas dans n’importe quoi.

Le Coran interdit le recours à l’intérêt (riba), ce qui complique l’épargne, car les intérêts générés sur un compte d’épargne doivent être donnés à une œuvre de charité. Cette interdiction rend également l’emprunt immobilier quasiment impossible.

Différents experts en sciences religieuses tentent d’adapter les principes du Coran et des Hadiths (récits des compagnons du Prophète Mohammed) au monde moderne. Par exemple, une fatwa controversée stipule que les personnes en situation de nécessité extrême peuvent contracter un prêt avec intérêt pour acheter un logement si elles n’ont pas d’autre solution pour se loger. Toutefois, ce prêt ne peut être utilisé que pour l’acquisition d’une résidence principale, et non pour un investissement ou un bien de luxe.

Des leçons de vie

Le Coran contient également des principes qui peuvent aider les investisseurs, musulmans ou non, à devenir de meilleurs investisseurs. Pour son livre (Papa, hoe word ik rijk?  papa comment je deviens riche, uniquement disponible en néerlandais) sur l’investissement, Mohamed Ouaamari s’est inspiré non seulement du Coran, mais aussi d’ouvrages classiques sur la finance. « La façon dont je sélectionne les entreprises en fonction de ma foi correspond en grande partie à la manière dont Warren Buffett et feu Charlie Munger analysent les entreprises », explique Mohamed Ouaamari. «J’ai dû chercher des informations un peu partout et, à un moment donné, on finit par ne plus s’y retrouver. » Il y expose cinq principes qui ouvrent la voie aux musulmans et qu’on souhaite se lancer dans l’investissement sans trahir leur religion.

1. C’est l’intention qui compte

« En tant que musulman, l’intention – ou niya – est un concept fondamental », écrit Mohamed Ouaamari dans son livre. Pour un investisseur musulman, tout commence par une screening shariah (vérification de la conformité aux principes islamiques). Cela signifie analyser si les activités d’une entreprise respectent la loi islamique, ou la loi divine.

Par exemple, une entreprise comme ASML, fabricant néerlandais de machines pour la production de puces électroniques, s’intègre parfaitement dans le portefeuille d’Ouaamari. Peu importe le type exact de puces produites, la fabrication de ces équipements n’enfreint pas la loi islamique. « Si vous fabriquez des couteaux de cuisine, vous n’êtes pas responsable si quelqu’un utilise l’un de vos couteaux pour commettre un crime. »

Les investisseurs non musulmans effectuent aussi souvent des vérifications, par exemple sur la durabilité ou la diversité d’une entreprise. Certains investisseurs hésitent à investir car ils ne trouvent aucune entreprise qui correspond à 100 % à leurs valeurs. Pour les investisseurs musulmans, il existe des règles de base : ils peuvent investir dans des entreprises dont 95 % des revenus proviennent d’activités halal (autorisées par l’islam).

Ouaamari utilise des outils payants comme Musaffa et Zoya pour filtrer les entreprises. « Dans ces applications, vous entrez le nom d’une entreprise et obtenez immédiatement une analyse de ses activités. Un tableau de bord affiche la répartition des revenus en trois catégories : halal, haram (interdits) ou douteux. Ensuite, on peut examiner plus en détail d’où proviennent ces revenus. Par ailleurs, la trésorerie et les dettes ne doivent pas dépasser 30 % de la capitalisation boursière. »

2. La patience est votre meilleure alliée

Un verset du Coran dit : “En vérité, l’homme est en perdition. Sauf ceux qui ont cru, ont accompli de bonnes œuvres, se recommandent mutuellement la vérité et se recommandent mutuellement la patience.” 

« La patience est un élément clé dans la vie d’un musulman », explique Mohamed Ouaamari. « C’est aussi l’un des plus grands atouts d’un investisseur. Comme l’a dit Warren Buffett, la bourse transfère l’argent des investisseurs impatients vers les patients. »

La patience, c’est aussi ne pas dilapider ses gains immédiatement. Ouaamari illustre cela avec un dilemme : un investisseur place 1 000 euros et, avec un rendement annuel de 5 %, il réalise un gain de 50 euros. Il peut utiliser ce gain pour un bon repas ou le réinvestir. En réinvestissant, il obtient des gains sur les gains (compounding). Après 30 ans, ces 50 euros initiaux peuvent générer un capital de 4 468 euros. L’effet boule de neige est d’autant plus puissant que l’on commence jeune. “Il ne faut pas se laisser distraire par l’agitation quotidienne des marchés boursiers. Vous investissez dans des entreprises solides qui créent de la valeur ? Vous prenez  un risque mesuré avec une vision à long terme ? Dans ce cas, les fluctuations quotidiennes des cours ne doivent pas vous préoccuper”, stipule encore Ouaamari.

3. Investissez dans ce que vous connaissez

« Investir est simple, mais pas facile », disait Warren Buffett.

Dans l’islam, il existe un principe appelé taysir, qui consiste à faciliter les choses pour les croyants. Cela se traduit par des solutions pragmatiques respectant au mieux les principes islamiques. Par exemple, il existe de nombreux ETF (fonds indiciels) islamiques portant le label « Islamic » ou « Sharia ». Ouaamari recommande d’utiliser des screeners ou de lire la fiche d’information d’un ETF avant d’y investir.

Ouaamari préfère investir dans des entreprises solides et dominantes sur leur marché, comme Procter & Gamble ou Colgate-Palmolive. « On dit souvent que dans la vie, vous n’avez besoin que de deux choses : du WD-40 pour lubrifier ce qui est coincé et du scotch pour fixer ce qui est lâche. Je suis un grand fan du lubrifiant WD-40 en tant que consommateur et aussi de son fabricant Rocket Chemical Company en tant qu’investisseur. C’est une entreprise rentable, mais elle ne vous rendra pas riche rapidement. » Malheureusement, le fabricant du scotch n’est pas coté en bourse.

4. Optez pour la qualité

« Il vaut bien mieux acheter une entreprise exceptionnelle à un prix raisonnable qu’une entreprise moyenne à un prix exceptionnel », affirme Warren Buffett.

« Je crois qu’un investisseur musulman doit presque obligatoirement être un investisseur de qualité, car cette approche correspond parfaitement aux principes de l’investissement islamique », dit encore Mohamed Ouaamari. L’interdiction de l’intérêt (riba) exclut les entreprises trop endettées ou avec un excès de liquidités. De plus, la spéculation (maysir) est interdite.

« Un investisseur axé sur la qualité ne spécule pas sur les fluctuations de court terme. Il privilégie les entreprises qui créent une véritable valeur grâce aux flux de trésorerie et aux réinvestissements. » De même, les transactions incertaines (gharar) sont proscrites, ce qui exclut les investissements spéculatifs ou opaques.

Ainsi, tant les investisseurs musulmans que ceux cherchant des placements de qualité se tournent vers des entreprises offrant des flux de trésorerie prévisibles et des modèles économiques clairs, quelles que soient les conditions du marché.

Enfin, tout investissement doit s’inscrire dans un esprit de partenariat, où l’investisseur partage les profits et les pertes. « Il adopte une posture de propriétaire et établit une relation à long terme avec l’entreprise », conclut Ouaamari.

5. Un peu d’or comme assurance

« En tant qu’homme marocain, j’ai une relation particulière avec l’or. Non pas parce que j’aime en porter, mais parce qu’il fait partie intégrante de ma culture », dit encore Ouaamari.

Au Maroc, l’or est un symbole de sécurité financière, notamment pour les femmes en cas de divorce ou de décès du conjoint. Pour les musulmans qui ne peuvent percevoir d’intérêts bancaires, l’inflation représente un véritable danger. Beaucoup se tournent alors vers l’or ou les cryptomonnaies. « J’aime pouvoir attribuer une valeur à un investissement sur la base des flux de trésorerie et des bénéfices. Pour l’or, c’est difficile, mais il a une valeur tangible. En revanche, les cryptomonnaies sont bien trop spéculatives. »

Selon Ouaamari, les experts en droits islamiques n’ont pas encore statué sur la conformité des cryptos. « Si cela existe, tu peux le posséder. Certains disent : je ne peux pas le toucher, donc il n’existe pas. D’autres disent : tant que le gouvernement ou des institutions importantes ne l’ont pas reconnu, il n’existe pas. D’autres encore disent : dans le monde numérique, cela existe, donc tu peux investir dedans, mais tu ne peux pas trader avec. » En attendant, Ouaamari préfère lui rester à l’écart de ce marché volatil.

Purification des intérêts
Les musulmans peuvent purifier un portefeuille d’investissement en donnant les intérêts. Est-ce similaire à la compensation du CO2 que les gens paient lorsqu’ils prennent l’avion, mais se sentent coupables de l’émission de gaz ? « Non », affirme fermement Mohamed Ouaamari. « Ce n’est pas une indulgence où tu peux acheter l’absolution de tes péchés. La purification des intérêts est une transaction neutre. C’est comme lorsqu’on retire la partie abîmée d’une pomme avant de la manger. »

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