Héritage: pourquoi tant de renonciations?
Les Belges renoncent beaucoup plus souvent à un héritage qu’ils ne l’acceptent “sous bénéfice d’inventaire”. Etrange? En réalité, pas du tout! Voici pourquoi.
L’information lancée en août dernier par la fédération des notaires avait de quoi frapper les esprits: en un an, plus de 46.000 Belges ont renoncé à un héritage. A défaut de l’accepter fermement, pourquoi ne pas le faire sous bénéfice d’inventaire pour être certain de ne pas rater un patrimoine? Parce que c’est fastidieux pour les héritiers qui doivent préparer le dossier! Trois notaires témoignent et expliquent.
Pourquoi renonce-t-on à un héritage? Comment l’héritier peut-il être sûr que les dettes l’emportent sur l’actif et qu’il ne rate pas le magot? “C’est ce que j’explique aux personnes qui viennent me trouver: même si le défunt était un panier percé, on ne peut pas exclure que le billet gagnant de l’EuroMillions se trouve sur sa table, répond en souriant Sébastien Dupuis, notaire à La Louvière. Et si vous renoncez à la succession, ce billet est perdu.” En pratique pourtant, outre que cette chance est évidemment minime, les gens connaissent souvent la situation de la personne dont ils pourraient hériter, observe le notaire. Ils savent qu’il n’y aura que des dettes, ou alors que des miettes à ramasser. Certains renoncent immédiatement à la succession, d’autres attendent un peu de voir en quoi consiste le courrier adressé au défunt.”
Il est de plus en plus fréquent qu’on renonce à un héritage pour des raisons psychologiques.” Nathalie d’Hennezel, notaire à Auderghem
S’il abonde en rappels de factures, on a compris… Si le cher disparu était propriétaire de son logement, et même s’il remboursait plusieurs crédits, la situation est clairement différente et l’acceptation sous bénéfice d’inventaire s’imposera. “Si la seule facture que l’on trouve est la dernière concernant l’électricité, c’est bon signe. En tout cas si les comptes bancaires sont dans le vert.”
Il faut toutefois savoir que la renonciation n’est pas totalement irrévocable, signale Sébastien Dupuis. Si l’on découvre plus tard un joli carnet de dépôt, l’héritier peut s’en rétracter moyennant certains critères précis. “S’il a refilé la patate chaude à un autre héritier et que celui-ci a accepté la succession, c’est fini. Par contre, si lui et les éventuels suivants dans l’ordre ont tous renoncé, ou ne se sont pas encore décidés, le premier peut revenir sur sa décision.”
Attention: on ne peut pas renoncer à une succession “en fraude de droits de tiers”, c’est-à-dire au préjudice de personnes à qui l’on doit de l’argent. Par exemple, renoncer à la succession de ses parents en jugeant que l’héritage ira de toute manière à ses créanciers. Ces derniers peuvent alors se retourner contre celui qui renonce. De la même manière, une personne se trouvant en médiation (officiellement appelée “règlement collectif de dettes”) ne peut pas renoncer, ni même accepter sous bénéfice d’inventaire, sans l’accord du tribunal qui chapeaute ce règlement, prévient le notaire.
Des raisons psychologiques
A La Louvière, les patrimoines ne sont généralement pas très élevés et les renonciations sont très nombreuses: une ou deux par semaine, contre une acceptation sous bénéfice d’inventaire… par an, observe Sébastien Dupuis. En va-t-il différemment dans des régions plus cossues? Pas vraiment. Notaire à Auderghem, Nathalie d’Hennezel acte en moyenne un refus par semaine. Et également pas plus d’une acceptation sous bénéfice d’inventaire par an. Il va de soi que nombre de successions sont tout simplement acceptées, les enfants qui héritent connaissant le plus souvent très bien la situation financière de leurs parents. N’empêche, pourquoi tant de refus? Il ne s’agit pas seulement d’échapper à des dettes que l’on sait supérieures à l’actif, constate la notaire. On observe aussi des raisons psychologiques. “Pas plus tard qu’hier, j’ai reçu un monsieur dont la mère est décédée et qui m’a déclaré: ‘Je ne veux rien lui devoir, rien à voir avec sa succession. Donc, je renonce’. Je lui ai rappelé que cette renonciation était définitive et qu’il ne pourrait donc plus faire marche arrière si l’on découvrait que sa maman, perdue de vue, était propriétaire d’une maison et qu’il en héritait légalement. Sa réponse? ‘Je ne veux rien devoir à cette femme’. De telles situations ne sont pas rares”.
Certains renoncent également par crainte de ne pouvoir payer les droits de succession. Pourtant, s’il y en a, cela ne signifie-t-il pas automatiquement qu’il existe un actif? Oui mais sous quelle forme? Un notaire évoque le cas de deux petits-enfants héritant d’un grand-père quasiment inconnu – c’est le père qui assurait le lien familial et il est lui-même décédé. Les deux héritent d’un immeuble, mais en mauvais état. Et ils ne savent absolument pas si la succession comporte d’autres actifs, plus liquides. Ils ont préféré renoncer aux ennuis possibles… et donc à la succession.
Donations et cautions: attention danger!
“Accepter un héritage sous bénéfice d’inventaire ne met pas les héritiers complètement à l’abri de conséquences financières défavorables, signale la notaire Nathalie d’Hennezel. Parce qu’il s’agit bel et bien d’une acceptation… Si le défunt a par exemple réalisé une donation moins de trois ans avant son décès et qu’on n’arrive pas à identifier le bénéficiaire ou que celui-ci est insolvable, ce sont les héritiers qui sont responsables du paiement des droits de succession! Car ces droits ne sont pas une dette de la succession, mais bien des héritiers.”
Autre danger: que le défunt se soit porté caution. “Ceci peut ne pas apparaître avant un certain temps, met en garde Olivier de Clippele. Il existe un garde-fou, quand même: les juges demandent une cause qui soit dans l’intérêt de celui qui se porte caution. Un parent pour le bail de son enfant étudiant, par exemple. Par contre, la caution demandée par une banque au bénéfice d’un frère mauvais payeur pourrait bien être rejetée.”
Au diable les ennuis!
On peut aussi refuser en dépit d’une situation a priori beaucoup plus simple. “Beaucoup de gens renoncent, non pas parce qu’ils craignent d’hériter d’un paquet de dettes, mais pour ne pas avoir d’embarras”, observe Olivier de Clippele, notaire à Ixelles. Et pour autant, bien sûr, qu’ils estiment le patrimoine peu important… Ils veulent aussi éviter de se trouver coincés: “Si vous acceptez sous réserve d’inventaire, vous ne pouvez plus revenir sur votre choix, vous ne pouvez plus renoncer, rappelle-t-il. Vous devez avoir l’autorisation du juge, non seulement pour vendre un immeuble ou des actions, mais aussi une voiture ou une moto. C’est assez lourd car ce type d’affaire n’est pas du ressort de la justice de paix, qui est assez accessible, mais du tribunal de première instance.”
Le bénéfice d’inventaire présente par ailleurs un coût: le notaire doit réaliser quelques recherches et dresser un acte. Mais le frein le plus important est ailleurs, souligne Sébastien Dupuis: les héritiers doivent mener une enquête et beaucoup n’en ont pas envie. Une enquête? “Le notaire peut connaître les soldes bancaires au jour du décès, il peut vérifier si le défunt est en ordre pour le paiement des impôts ou lois sociales. Mais pour le reste, ce sont les héritiers qui sont les acteurs d’un dossier de succession: ils connaissent en principe mieux le défunt et doivent donner au notaire la matière première, même si ce dernier va bien sûr les épauler et leur donner des conseils. Le notaire n’a pas accès au courrier du défunt, par exemple. Même chose pour les assurances. Le notaire peut vérifier si on lui donne une piste mais il ne peut pas faire le tour du marché pour demander si le défunt avait un contrat ici ou là.
Le notaire a par compte accès au cadastre, ainsi qu’à une banque de données lui permettant de savoir dans quelle banque belge le défunt était client, du moins pour les établissements ayant adhéré au système, complète Nathalie d’Hennezel. Par contre, il n’a guère les moyens de se renseigner sur les éventuels avoirs étrangers. “Ce sont les héritiers qui doivent expliquer au notaire ce qu’il y a dans la succession”, confirme-t-elle. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, visiblement…
“Il est fréquent aussi que l’héritier connaisse mal le défunt, un grand-oncle éloigné par exemple, complète Sébastien Dupuis. Il ne dispose que de peu d’informations et il lui sera dès lors difficile de réunir les documents nécessaires.” C’est une autre cause fréquente de renonciation. La tâche de l’héritier peut s’avérer d’autant plus malaisée que le notaire, qui a accès au registre national, n’est aujourd’hui plus autorisé à transmettre ces informations, pas même de signaler à un fils si son père, qu’il a perdu de vue, est encore en vie. En théorie du moins. Et ceci au nom de la protection de la vie privée…
Patrimoine protégé
On ne saurait pour autant faire l’impasse sur l’avantage que présente l’acceptation sous bénéfice d’inventaire. “Elle permet de faire une scission entre le patrimoine de la succession et celui des héritiers, rappelle Nathalie d’Hennezel. Les héritiers ne seront dès lors tenus du passif qu’à concurrence de l’actif: les créanciers de la succession ne pourront pas s’en prendre au patrimoine personnel des héritiers pour récupérer le solde.” Telle est évidemment la grande différence avec l’acceptation pure et simple. “L’avantage de cette formule, c’est que c’est publié au Moniteur et que les créanciers ont trois mois pour se faire connaître, complète Olivier de Clippele. S’ils ne le font pas, ils ne perdent toutefois pas leur créance pour autant.”
Attention aussi à ne pas commettre d’acte d’héritier quand on a choisi l’acceptation sous bénéfice d’inventaire, poursuit le notaire, car ceci équivaudra à une acceptation pure et simple de l’héritage! “Organiser les funérailles et prendre des mesures conservatoires comme vider le frigo ou placer l’animal domestique, voilà qui ne pose pas de problème. Par contre, prendre un meuble ou même la vaisselle sera considéré comme une acceptation.”
Notons que l’acceptation sous bénéfice d’inventaire peut aussi se révéler obligatoire dans certaines circonstances particulières, explique Nathalie d’Hennezel, qui évoque le cas suivant: “L’héritier était un enfant de trois ans, dont le père avait disparu dans la nature et dont la mère avait dès lors la responsabilité parentale. La situation financière du père était totalement inconnue de la mère, qui n’avait pas accès à son domicile. Le juge de paix, qui doit intervenir puisque l’enfant est mineur, a logiquement imposé une acceptation sous bénéficie d’inventaire. Une première approche a révélé des avoirs en banque, mais qui sait s’il n’existe pas un créancier pour un montant supérieur, qui se manifestera plus tard? De telles situations sont de plus en plus fréquentes”, observe la notaire.
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