Que valent réellement les penny stocks ?
De plus en plus nombreuses sur Euronext Bruxelles, ces actions à moins d’un euro sont parfois présentées comme des candidates à un redressement (spectaculaire) par des apprentis gourous. La plupart errent toutefois pendant de longues années sur le parquet de la Bourse.
Les penny stocks, c’est-à-dire les actions dont le cours est inférieur à 1 dollar (ou 1 euro), ont mauvaise réputation auprès des investisseurs, la faute avant tout aux Etats-Unis. Les entreprises cotées sur le Nasdaq doivent en effet afficher un cours facial d’au moins 1 dollar. A défaut, elles reçoivent une notification après 30 jours et risquent ensuite la radiation dans les six mois. Sur la Bourse de New York (NYSE), le seuil est même fixé à 4 dollars. Les titres radiés se retrouvent alors sur le marché de gré à gré, le sulfureux pink sheets – devenu OTC Pink – nommé de la sorte en référence à la couleur rose du papier sur lequel les cours étaient imprimés.
Le Loup de Wall Street
Ce marché non réglementé a connu un certain engouement dans les années 1980, avant tout motivé par l’appât du gain et les belles promesses de courtiers peu scrupuleux. Comme Jordan Belfort dont le récit a inspiré le célèbre film Le Loup de Wall Street.
Bien avant que Leonardo Di Caprio n’endosse le rôle de courtier véreux, les autorités américaines avaient durci le ton et adopté le Penny Stock Reform Act en 1990. La loi visait à imposer des règles plus strictes aux courtiers et aux négociants qui recommandaient des penny stocks à leurs clients et à promouvoir la mise en place d’un marché électronique structuré pour la cotation de ces titres.
Même si un courtier ne vous contactera plus pour vous vanter les mérites de telle ou telle pépite à moins d’un dollar, les pseudos gourous vous promettant de faire fortune grâce à des penny stocks pullulent aujourd’hui sur internet.
Une performance monstre
Le principal levier pour faire acheter tout ou n’importe quoi à l’investisseur lambda demeure l’appât du gain. Certains vont jusqu’à présenter Amazon, Microsoft ou Apple comme d’anciennes penny stocks en s’appuyant sur leur graphique historique qui est toutefois trompeur. Les cours inférieurs à 1 dollar s’expliquent part les scissions d’actions (split). Par exemple, Amazon n’a pas été introduit en Bourse au prix de 0,075 dollar en 1997, mais à 18 dollars, une action de l’époque ayant été scindée au total en 240 titres actuels.
D’autres ayant approfondi leurs recherches appuient leurs dires en citant l’exemple de Hansen Natural. Reprise par Rodney Sacks au début des années 1990, l’entreprise cotait toujours à peine un dollar quand elle a lancé Hansen’s Energy en 1997, une boisson énergétique inspirée du succès de Red Bull – qui s’apprêtait à débarquer aux Etats-Unis.
Si vous aviez eu la bonne idée de miser à l’époque sur Hansen Natural, devenu entretemps Monster Beverage, vous seriez aujourd’hui actionnaire d’une entreprise du prestigieux S&P 500 et vous auriez multiplié votre mise initiale par 4.000. En d’autres termes, un investissement initial de 1.000 dollars affiche aujourd’hui une valeur de plus de 4 millions de dollars.
Voilà qui a de quoi séduire ! Mais ne vous leurrez pas, les probabilités sont à peu près équivalentes à un jeu de loterie. Monster Beverage est un cas unique dans l’histoire, avec quelques autres moins impressionnants comme Pier1, alors que plus de 10.000 titres sont aujourd’hui cotés sur l’OTC Pink.
Biotechs échouées
L’écrasante majorité des entreprises atterrissant sur ce marché n’en sortent jamais (par le haut), tels des actifs échoués. On y retrouve ainsi de plus en plus de sociétés biotechnologiques dont le programme initial a échoué.
Ce qui est d’ailleurs également le cas de l’épidémie de penny stocks sur Euronext Bruxelles. Mithra, Celyad, Biosenic, Oxurion ou Biocartis ont ainsi grossi ce segment un peu particulier ces dernières années, en compagnie d’ex-futures gloires technologiques comme Crescent (ex-Option) ou Keyware.
Toutes étaient prometteuses, mais ont échoué à développer ou commercialiser un produit compétitif, épuisant ensuite leurs réserves financières. Toutefois, comme les sociétés biotechnologiques et les start-up en général n’ont pas ou très peu de dettes, en raison de la nature très risquée de leurs activités, elles peuvent vivoter pendant de très longues années sans être acculées à la faillite.
Les entreprises dont le cours plonge sous 1 euro peuvent procéder à un regroupement d’actions, par exemple de 100 anciennes pour une nouvelle.
Risque de perte maximal
Généralement, elles continuent à pousser l’un ou l’autre développement à frais réduits, agissant comme une lueur d’espoir. Ce qui convainc des petits porteurs se disant souvent : “l’action a déjà tellement perdu, elle ne peut quasiment plus descendre”.
Il est vrai que le raisonnement peut avoir l’air convaincant quand un titre valant autrefois 50 euros a perdu 99,98% pour s’afficher à un cent. Pourtant le risque de baisse est à peu près toujours le même comme l’illustre le cas d’Oxurion, ex-ThromboGenics.
Si vous aviez acheté l’action au temps de sa splendeur en 2013, quand son traitement ophtalmologique Jetrea était promis à un avenir commercial radieux, vous auriez perdu 99,99% de votre mise. Si vous aviez tenté un coup de poker en avril 2023 quand son cours avait atteint 0,01 euro, votre perte serait aujourd’hui de 99%. Il n’y a en effet pas d’autre plancher que le zéro absolu pour le cours d’une action, Oxurion cotant aujourd’hui 0,0001 euro, soit un centième de cent.
Regroupement d’actions
Pour faire bonne figure et éviter de présenter un cours comptant un peu trop de zéros, les entreprises dont le cours plonge sous 1 euro (ou 1 dollar) peuvent simplement procéder à un regroupement d’actions, par exemple de 100 anciennes pour une nouvelle. Au lieu de 100 actions à 20 cents, vous recevez alors une action à 20 euros, permettant au cours de faire meilleure prestance.
Mais une telle opération n’est pas gratuite. Euronext facture par exemple 5.300 euros un regroupement, ce qui représente une certaine somme pour des entreprises déjà acculées financièrement. Et sur les marchés américains, le regroupement n’est pas non plus une solution miracle puisque le Nasdaq et le NYSE imposent aussi des conditions de capitalisation boursière.
Coquille vide
L’autre option est de servir de coquille pour permettre à une société tierce d’entrer en Bourse. C’est notamment le cas d’Evadix, qui n’avait plus d’activités opérationnelles et dont le cours ne cotait qu’une dizaine de cents avant son rapprochement avec Whitestone. L’opération a permis au spécialiste du private equity de faire ses premiers pas sur Euronext Bruxelles en 2021 sans tout le formalisme d’une introduction en Bourse. C’est aussi la destinée qu’envisage Oxurion.
Ce genre d’opérations est toutefois hypothétique et pas forcément synonyme de rebond du cours en raison des opérations sur actions. La société cotée (avec une valeur limitée), comme Evadix, doit en effet émettre un important nombre de titres pour absorber celle qui veut entrer en Bourse par échange d’actions.
Aucune perspective
Les perspectives de la dizaine de penny stocks sur Euronext Bruxelles (Accentis, Belysse, Biocartis, Biosenic, Celyad, Crescent, Keyware, Mithra, Nyrstar, Oxurion) apparaissent donc assez bouchées. Beaucoup n’ont même plus d’activités d’une ampleur suffisante pour espérer un redressement. Nyrstar, ancien géant mondial du raffinage de zinc, n’héberge plus d’activité opérationnelle. Même son site internet (nyrstar.com) a été transféré à Trafigura, l’entité cotée ayant adopté l’adresse nyrstarnv.be.
Biocartis, dont le cours est suspendu depuis septembre, a aussi prévu de se séparer de ses activités opérationnelles dans le cadre de sa recapitalisation. Les biotechs Celyad ou Oxurion n’ont pour ainsi dire plus de développement clinique, gardant quelques brevets. BioSenic est engagé dans une procédure de réorganisation judiciaire.
Les perspectives de la dizaine de penny stocks sur Euronext Bruxelles apparaissent assez bouchées.
Parmi ces dix noms, seul Belysse (ex-Balta) dispose d’activités d’une certaine ampleur avec un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions dans les revêtements de sols. Mais des problèmes de rentabilité, des dettes et une conjoncture défavorable obscurcissent ses perspectives (boursières).
Hécatombe sur Euronext Bruxelles
Un autre grand nom belge flirte avec le clan des penny stocks : Agfa Gevaert. L’ancien géant de l’imagerie, bien connu du grand public pour ses pellicules photographiques, connaît depuis de longues années le double effet d’activités déclinantes et de lourdes dettes (notamment sous la forme d’engagements de pension).
Avec un chiffre d’affaires de plus d’un milliard et plus de 5.000 collaborateurs, cela demeure une entreprise phare, mais ses pertes chroniques depuis 2018 compliquent toute perspective de relance. Le groupe a même dû se résoudre à céder ses activités les plus prometteuses dans les technologies médicales en 2020 afin d’éponger ses dettes. Ce qui lui a donné un ballon d’oxygène financier, mais l’a privé d’un précieux relais de croissance.
Cumulex (ex-Sucraf), Sequana Medical ou Fountain ne cotent plus qu’un peu plus d’un euro. En ajoutant les valeurs cotées sur Alternext et le marché libre, Euronext Bruxelles compte une vingtaine de (presque) penny stocks, soit 15% de la cote. Ce qui ne risque pas d’améliorer l’image du marché bruxellois qui souffre déjà d’une quasi-absence d’introductions depuis plusieurs années.
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